Depuis le succès critique et public du colossal « Henri VI » il va s’en dire que la suite de l’épopée-fleuve de Shakespeare version Piccola Familia était attendue de pied ferme. Après une création au TNB, Thomas Jolly conclut cette aventure extraordinaire par la mise en scène de « Richard III » actuellement au Théâtre de l’Odéon. Une fin cohérente et enthousiasmante, qui souffre toutefois par endroits du tempérament excessif de la Piccola Familia.
Passées les 18 heures de malversations, trahisons, décapitations et guerres intestines en tous genres le monstre ultime est né. Richard, Duc de Gloucester, après avoir maintes et maintes fois retourné sa veste est fermement décidé à enfin connaître la gloire de gouverner l’Angleterre. Personnage hideux, difforme et n’éprouvant aucune pitié il n’hésitera pas à assassiner les derniers membres de la famille d’York qui gêneront son ascension ultime. En Angleterre le sang et les larmes n’en finiront donc jamais de couler, l’ère glaciale de Richard III commence.
Thomas Jolly reste évidemment fidèle ici aux éléments scénographiques qui, au delà de l’aspect gigantesque d’Henri VI, ont fait le succès de sa précédente création. Tout ce qu’on a follement aimé pendant 18H est parfaitement restitué : Impressionnants effets de lumières et sonores, une équipe colossale d’artistes investis et d’une générosité contagieuse, la charte graphique de la Piccola Familia, la sublime traduction de Jean-Michel Déprats comme support. Dès la scène d’ouverture on pénètre dans un univers extrêmement visuel, l’esthétique  sera soignée de bout en bout. Thomas Jolly nous entraine dès le premier monologue dans l’abîme, dans les tréfonds de cette noire société à venir, le monde poisseux et meurtrier du sanguinaire Richard, avec un habillage lumineux du plateau digne d’un show à l’américaine. Il opère pourtant avec succès un virage délicat, car il sait à quel point le personnage de Richard est plus profond, plus complexe que tous les autres. Avec beaucoup de subtilité et de maîtrise il glisse vers une atmosphère plus baroque, plus empesée où pointe ça et là des relents de folie, des explosions de démesure. Si l’on pardonnait aisément les quelques défauts de surenchère à Henri VI au vu du défi que représentait sa taille hors-norme, ils sont cependant ici plus voyants et il faut reconnaitre que par endroits l’on aurait souhaiter plus de sobriété. Mais les acteurs font vite oublier ces petits débordements, c’est avec un plaisir non dissimulé que l’on retrouve les comédiens émérites de la saga, avec en tête de file Bruno Bayeux, Thomas Germaine et Damien Avice  toujours excellents dans chacune de leurs prestations.
Ce Richard III hystérisé divisera surement un peu,  et quelques mois après l’on pense encore bien sûr à la remarquable création de Thomas Ostermeier à Avignon cet été. Il est certes difficile d’oublier la prestation de Lars Eidinger dans le rôle titre, mais Thomas Jolly s’en sort haut la main, livrant une prestation juste et sensible  tout comme ses nombreux camarades de jeu présents sur le plateau. Il a de plus le très grand mérite d’amener une nouvelle population au théâtre, de démocratiser une saga qui aurait pu paraître indigeste notamment pour le plus jeune public. D’ailleurs le succès des spectacles de la Piccola Familia se mesure également à sa popularité sur les réseaux sociaux, les spectateurs n’hésitant pas à commenter en temps réel leurs impressions sur la pièce. Thomas Jolly s’emploie à intégrer intelligemment les codes d’une génération tournée vers internet, ou encore les séries télévisées dans ses mises en scène tout en respectant avant tout le texte et la mélodie de Shakespeare. Alors oui il y a de l’excès, de la démesure, du clinquant et parfois trop de bling-bling, trop de tout. Oui, Il y a du punk chez ce Richard III, et la techno hurle par moments trop fort dans les micros de la rutilante salle de l’Odéon. Et puis non, on le savait déjà Thomas Jolly n’est pas Ostermeier et ce n’est pas  grave. Alors bon, n’en déplaise à certains c’est tout de même jouissif !
Audrey Jean
« Richard III » de William Shakespeare
Mise en scène et scénographie de Thomas Jolly
Traduction de Jean-Michel Déprats
Avec : Damien Avice, Mohand Azzoug, Etienne Baret, Bruno Bayeux, Nathan Bernat, Alexandre Dain, Flora Diguet, Anne Dupuis, Emeline Frémont, Damien Gabriac, Thomas Germaine, Thomas Jolly, François-Xavier Phan, Charline Porrone, Fabienne River et en alternance Jean Aviat, Maya Colombani, Lucie Cormier, Jeanne Daffix, Blaise Desailly, Bilal Foot, Garance Hamon, Gaspard Martin Laprade, Yoko Moy et Basile Thévenin
Crédit Photos : Brigitte Enguerrand / Nicolas Joubard
Jusqu’au 13 février au Théâtre de l’Odéon
Durée 4H20 avec un entracte