Le lourd secret défense s’est enfin levé il y a quelques années sur Alan Turing, l’un des plus brillants esprits scientifiques du XXe siècle. Ce génial mathématicien qui a su briser le code « Enigma » qui brouillait les transcriptions nazies a été remercié de bien étrange façon par le gouvernement britannique qui l’a confiné à demeure une fois la guerre terminée en faisant de sa vie un véritable calvaire. Sa fin, qui constitue une véritable tragédie en soi, souligne la violence et le cynisme de la société anglaise d’après-guerre. Benoit Solès s’est emparé  de cette page d’histoire unique pour nous faire revivre ces moments de vie cruciaux si précieux mais aussi si terribles.
La machine de Turing créée par Benoît Solès et mise en scène par Tristan Petitgirard au Théâtre Michel explore la vie de l’inventeur du premier ordinateur. En 1942, Alan Turing avait été chargé de casser le code qu’empruntaient les nazis dans leurs communications. Mais sa réussite éclatante après une obstination sans faille et de vigoureux efforts consentis, s’est avérée une victoire à la Pyrrhus. Le gouvernement de Sa Majesté avait pris soin de ne rien faire afin de ne pas éveiller les soupçons des nazis. Mis à l’index à la fin de la guerre du fait de son homosexualité et portant le poids de la culpabilité dans la mort d’innocents qui auraient pu être sauvés, il ne connut jamais aucune consécration. Martyrisé par la vieille loi homophobe de 1885, sa fin de vie ressembla à un calvaire qui s’acheva par son suicide à l’âge de 41 ans.
La pièce de Benoit Solès est une fine description de cette vie incroyable qui unit si étroitement l’homme au scientifique. Benoit Solès a réalisé une performance exceptionnelle en se mettant dans la peau de cet homme, introverti et bègue. C’est avec une grande finesse qu’il a pu dépeindre la solitude de cet homme frappé par ce lourd handicap de langage mais aussi par son homosexualité. Il parvient à faire ressortir la détresse et la fragilité de cet homme pris au piège d’une société corsetée et homophobe. Il donne toute sa dimension dans un mélange de couleurs où la tendresse, la mélancolie, la solitude, le droit à la différence, la rage de réussir et les désillusions jaillissent de cet être fracassé par le destin. Amory de Crayencour, qui lui donne la réplique, endosse le rôles de plusieurs personnages avec une grande justesse. La vidéo et les effets spéciaux accompagnent la belle mise en scène de Tristan Petitgirard qui déroule cette tranche d’histoire méconnue du grand public.
Ce spectacle profond met en lumière les aspects les plus noirs de l’âme humaine en nous rappelant cette précieuse victoire technologique gagnée au prix d’un immense gâchis humain. On ne peut s’empêcher de penser aux récents relents homophobes qui font tristement écho à cette loi discriminatoire de 1885 abolie en 1967! Alan Turing a changé un monde qui a préféré le sacrifier ! Un spectacle exceptionnel à ne pas rater.
Laurent Schteiner
La Machine de Turing de Benoît SOLES
mise en scène de Tristan PETITGIRARD
avec Benoît SOLES et Amaury de CRAYENCOUR
- Décor : Olivier PROST
- Lumières : Denis SCHLEPP
- Costumes : Virginie H.
- Vidéo : Mathias DELFAU
- Musique : Romain TROUILLET
- Assistante Mise en scène : Anne PLANTEY
- © Photos : Fabienne RAPPENEAU
Théâtre Michel
38 rue des Mathurins
75008 Paris
www.theatre-michel.fr
Location :Â 01 42 65 35 02
du mardi au samedi à 21h, le dimanche à 16h