Le Festival Off d’Avignon accueille la reprise d’ « Europa », un très beau texte d’Aziz Chouaki, auteur admirable qui nous récemment quitté. C’est un poème chanté et dansé, un long cri déchirant et sublime, une incantation qui charrie avec elle la détresse et l’espoir de l’autre côté de la mer Méditerranée. Un spectacle fascinant qui révèle avant tout la présence scénique incandescente  d’Hovnatan Avédikian.
« Pourtant, ils étaient balèzes, avant, les arabes. La boussole, l’algèbre, l’astronomie, ces cons. Ils se guidaient aux étoiles, t’imagines, les Ibn machin tout ça, la poésie aussi, avant, bien sûr. Parce que maintenant… non ça va encore m’énerver, et… dès qu’on arrive je me teins en blond, terminos, je change de nom aussi, Jacques ou alors Georges tiens, et je change de chaise roulante, jette, allez jette-moi cette merde, j’en prends une à écran tactile, j’ai vu sur un canard. Oui, le fric, t’occupe, les associations, les filières, hop glisser poisson, salut moi c’est Georges. »
C’est un poème hybride et hypnotisant, une complainte mélodieuse et sauvage à la fois qui résonne avec force. Aziz Chouaki donne la parole aux oubliés, aux migrants, aux désespérés avec ce récit épique et musical de la traversée de la Méditerranée. Deux jeunes, Nadir et Jamel regardent passer inlassablement les bateaux dans le port d’Alger, si loin mais si proche l’Europe est un eldorado, un rêve à réaliser même au péril de sa vie. Alors ils embarquent, ils le font ce grand voyage,  ils les rencontrent ces hommes brisés et pourtant toujours puissants, ceux qui se battront jusqu’au bout pour avoir, enfin, une vie meilleure. La langue est sublime, Aziz Chaouki sait indéniablement faire danser les mots, rythmé, animal, le texte est incisif tout en étant auréolé d’une poésie brutale. La mise en scène sera sobre, le plateau est presque nu, de quoi laisser toute la place à l’interprétation titanesque d’Hovnatan Avédikian. Il est solaire, son corps tout entier raconte cette histoire, son corps danse la détresse du monde, tandis que sa voix, accompagnée par la musique de Vasken Solakian, chante les mots fougueux d’Aziz Chouaki. La rage de vivre, la rage de mourir explosent à mesure que le voyage se fait plus éprouvant, jusqu’à nous laisser pantelants, estomaqués par le raz-de-marée, par la force du récit, et par l’engagement total d’Hovnatan Avédikian.
Audrey Jean
« EUROPA » Aziz Chouaki
Mise en scène : Hovnatan Avédikian
Jeu : Hovnatan Avédikian
Musique : Vasken Solakian
Crédit photo Aminata Beye
Festival Off d’Avignon
Théâtre du Girasole à 21h30