Dans le roman Point Cardinal, Léonor de Récondo livre un récit polyphonique et initiatique de la transformation de Laurent, né dans le mauvais corps, sa lente découverte de ce qui était enfoui là des le début, puis le chemin sinueux vers l’acceptation de son nouveau genre. Sebastien Desjours adapte magistralement le texte pour la scène et y livre en prime une performance bouleversante et solaire. Portant le récit à la première personne, il s’attarde à développer les étapes de ce parcours houleux avec sensibilité, tant par le prisme de l’introspection que par celui du regard d’autrui notamment celui de la cellule familiale. Laurent avant de devenir Laurène est en effet marié et père de famille.
Plongé dans un clair-obscur intimiste le plateau du Théâtre de Belleville s’apprête à recueillir la parole  de Laurent, une parole faite de mal-être, de non-dits, de secrets, de peurs et de doutes face au vide abyssal que peut représenter ce saut vers l’inconnu, être une femme dans un corps d’homme. Aussi loin qu’il s’en souvienne pourtant il l’a su, quelque part c’était déjà là dans le ventre, dans la tête, sur la peau peut-être mais il faut d’abord entamer le combat avec soi, l’admettre pour que ça devienne une réalité vraie. Puis quand la lutte intestine prend fin, quand Laurent se reconnait dans le miroir sous les traits de Laurène ce n’est pourtant pas fini, viennent les autres, leurs regards, leur jugement, leur incompréhension, autant d’étapes à surmonter pour que « il » devienne « elle », pour être enfin soi. Sur le fil, avec pudeur et pour autant une émotion incandescente  le récit ne tombe jamais dans le piège du pathos, ou dans l’écueil du sensationnel, la facilité de la psychologie de comptoir. C’est une traversée sensible, un passage d’un état à un autre, Laurent nous livre avec fièvre les étapes de la quête du soi, de la recherche du vrai, de l’acceptation de sa nature profonde quand bien même celle-ci serait le genre féminin alors qu’il est né homme. En alternant les types de narrations Sébastien Desjours nous inclut dans le récit, interpellant de manière délicate le spectateur pour révéler toute l’humanité de cette histoire, ramenant la question de la transidentité à ses questionnements universels, faire taire les dissonances en chacun pour trouver la sérénité d’être en accord avec soi. Il donne indéniablement beaucoup de lui dans cette performance, et trouve un équilibre remarquable entre le masculin et le féminin bien au delà des clichés, quelque chose de bien plus grand et de finalement très humain. Un spectacle coup de poing à ne pas manquer.
Audrey Jean
Point Cardinal
Texte Léonor de Récondo
Adaptation scénique, conception et jeu Sébastien Desjours
Collaboration artistique Claire Chastel et Bénédicte Rochas
Scénographie et costumes Anne Lezervant
Collaboration à la scénographie Quentin Paulhiac
Théâtre de Belleville jusqu’au 30 décembreÂ
Nouveaux horaires
à partir du 21 oct.
– Mer. : 19h (fin à  20h05)
– Jeu. : 19h (fin à  20h05)
– Ven. : 19h (fin à  20h05)
– Sam. : 19h (fin à  20h05)
– Dim. : 15h (fin à  16h05) en oct. et 14h30 (fin à 15h35) en nov.