Gabrielle Gay, comédienne, metteuse en scène et autrice qui bénéficie d’une grande actualité, nous livre un entretien passionnant sur sa dernière création Ecoutez leur silence qui sera à l’affiche du Studio Hébertot les 10 et 11 mai et 17 et 18 mai à 21h.

Quel est le pitch de cette pièce ?
La vie d’ados en difficulté dans un foyer. On suit leur parcours de vie ainsi que celui de leur éduc. spé.

Pourquoi avoir voulu écrire sur ce sujet ?
Pour deux raisons : la nostalgie et les rencontres avec ces jeunes !
Je suis une grande nostalgique de mon adolescence. Il se passe un milliard d’émotions diverses et variées dans une période assez courte. Une période assez euphorisante. Le fait d’avoir donné des cours de théâtre à des ados m’a inspiré. L’adolescence est quand même un âge assez ingrat dans lequel on a du mal à se trouver car on se cherche. J’ai voulu aller vers des histoires un peu plus dures afin de chercher, de tisser, de dénouer et voir comment ça se passe. Enfin trouver la résilience qui peut se sortir de tout ça. Ce sont des rencontres bouleversantes à l’image de ces ados qui sont émouvants.

Y a-t-il une résonnance particulière, intrinsèque à écrire ce texte ?
De la résonnance ? Il y en a toujours et je suis intimement convaincue qu’en tant qu’auteur on se sert toujours ce qu’il y a en nous, de ce qui nous anime. Après ca reste complètement imaginé. Mais dans la personnalité des personnages, il y a pas mal de choses qui me ressemblent un peu. Ce qu’il y a de très beau quand on a la chance de prendre une plume et que l’on sait ce qu’on a envie de balancer sur du papier. C’est se confronter un peu à soi et se « fighter » un peu dans l’écriture. Evidemment c’est tentant !

Cela vous a fait avancer ?
Ce qui est marrant c’est que cette pièce, je l’ai écrite il y a quelque temps. Le personnage de Nathaëlle, l’éduc. spé., quand je l’ai écrit, revêtait pour moi une résonnance forte. Aujourd’hui, je l’aime toujours autant mais ça a évolué : elle est restée quelque part et moi je suis partie ailleurs. C’est drôle.

Y a-t-il une difficulté d’écrire sur les ados ?
Non ca va. Je dois dire que j’ai une petite sÅ“ur de 16 ans. J’évolue beaucoup avec elle. Le fait d’être un peu au quotidien avec ces êtres en pleine mutation génétique me permet de voir et de ressentir des choses. La voir grandir et observer ce côté brut organique est une chance.

Comment avez-vous opéré pour relater cette histoire ?
Je suis partie des cours que je donnais sur un exercice très simple de théâtre qui est l’exercice de la boite qu’on retrouve dans la pièce sous une forme bien différente. C’est l’exercice de la malle qu’on met au plateau où chaque personne doit venir l’ouvrir et ce qu’il y voit dedans. Il s’agit d’un exercice allié à l’imaginaire. Lors de cet exercice, il s’est passé des trucs assez fous. Certains  faisaient vraiment les cons tandis que d’autres cherchaient vraiment quelque chose à dire, délestés de leur pudeur. J’ai trouvé ça fascinant. J’ai pensé qu’il y avait un truc a faire sur la prise de parole. Arriver à les faire parler et trouver un mécanisme qui va les aider à parler. Du coup je suis rentré chez moi et j’ai repensé à cette expérience  et le reste est venu très vite.

Les ados constituent-ils un monde avec ou sans filtre ?
Ah ! c’est une très bonne question. Je dirais que c est les 2. Je crois fortement à la notion d’équilibre : l’un ne va pas sans l’autre. Il y a des filtres car c’est l’apprentissage de la vie où on doit garder les choses pour nous et se mettre un peu en observateur et en même temps il n’y a pas de filtre car c’est brut, organique et volcanique. Il y a de la pudeur et le désir d’exister. Du coup, ca part dans tous les sens et c’est là qu’on a envie de les « tarter ».

Quels sont les enseignements que vous avez retiré de cette écriture et de votre mise en scène ?
Ce métier est une came constante, un shoot d’adrénaline. C’est profondément humain et j’ai besoin de ces énergies-là, d’être entourée de gens qui ont envie de faire et aussi d’avoir de l’humilité. Ca me gêne toujours un peu quand on me pose cette question sur le fait que je sois à la fois auteur, metteur en scène et comédienne. Pour moi tout est lié et c’est la première fois que tout s’est calé d’un coup. De plus, c’est ma compagnie qui porte tout le projet.

Peut-on dire qu’il y a un décalage entre votre écriture et le jeu au plateau ?
C’est marrant  c’est ce que beaucoup me disent mais il y a un gros travail de mise en scène et de corps au plateau. La pièce s’appelle Ecoutez leur silence  et parfois il n’y a pas besoin de mots. C’est visuel. A cet effet, nous sortons de résidence avec des comédiens que je pense avoir usés. Tout le monde était épuisé émotionnellement et physiquement car il y a un travail sur l’autour, le dedans sur le corps, le rapport à l’autre sur comment ça se passe entre les liens. C’est toute une histoire à créer car ce n’est pas qu’un texte. C’est une des premières choses qu’ils m’ont dites au sortir de la résidence. Je n’avais pas vu toute la dimension car il y a de la violence, des choses dures, et physiquement c’est habité. Mais il y a besoin de respiration et de retrouver un peu de calme dans ce chaos. Pour avoir parler avec des gens ayant bossé dans des foyers, je me suis renseigné après l’écriture. Moi je fais toujours les choses à l’envers ! (rires) Ils se sont retrouvés quand ils ont vu la pièce. Il y a beaucoup de ça et il n’y a pas de la violence sourde systématique ! Non ce n est pas vrai ! Malgré cette violence, il y a de la respiration. Ils ont leur destin entre leurs mains mais je ne sais pas ce qu’ils deviennent, même à la fin.

Quand vous écriviez, vous pensiez plateau ?
Je vois où ça se passe et comment ça se passe mais je ne pense pas plateau tout de suite. J’écris et après je pense plateau. Dans mes mises en scène,  il y a toujours quelque chose de redondant. J’utilise tous les codes cinématographiques. J’aime qu’on entende les multiples facettes d’un texte autrement qu’en le déclamant. Et le fait de passer par quelque chose de plus cinématographique dans le lieu crée des résonnances plus sourdes et permet de le véhiculer avec tous les stratagèmes du théâtre, de la lumière du plateau, de la musique. Ce n’est en rien déconnant !

A partir de quel matériel avez-vous travaillé ?
J’ai écrit ce texte il y a 7 ans. Je l’ai fait jouer à mes élèves et ensuite je l’ai mis dans un tiroir. Je l’ai ressorti il y a 3 ans. Je n’ai quasiment rien retouché au texte. Je suis retourné dans un foyer l’année dernière car j’ai d’autres projets pour Ecoutez leur silence au-delà d’une pièce de théâtre. Je pense qu’il y a d’autres choses à créer et notamment c’est pour ça que je suis allé dans l’univers du foyer car à terme je compte écrire un film ou une série. Là, précisément je devais rentrer dans le vif du sujet sans erreur possible. Là, dans le milieu du théâtre et dans cette histoire d’imaginaire de ces jeunes, il n’y avait pas de place à l’administratif ou au juridique. En revanche, pour la suite oui.

Il n’y a pas de place à une quelconque erreur puisqu’il s’agit qu’une inspiration personnelle ou d’un ressenti ?
Je me considère un peu comme un véhiculaire d’histoires et j’aime la vérité même si l’écrit est bâti autour de vraies bases.

Des difficultés de mise en scène ?
Je suis frappadingue. J’ai 10.000 idées à la seconde. Heureusement je dispose d’un staff extraordinaire qui me canalise (rires) je dois resserrer les choses et j’ai une chance extraordinaire de travailler avec des gens qui me connaissent par cÅ“ur. Ils trouvent toujours des solutions pour y arriver même si c’est différent.  Il n’y a pas de difficultés en tant que telles sauf qu’il y a 8 comédiens au plateau. La logistique n’est pas la même pour les répétitions, les résidences, les programmations, les plannings des comédiens. Gérer l’humain n’est jamais facile.

Comment gère-t-on 8 pers au plateau?
Il faut beaucoup de patience, savoir observer, regarder. Il faut apprendre à les connaitre vite mais bien pour n’en laisser aucun sur le bas-côté et en même temps créer une relation de troupe et de groupe. Il s’agit de mettre du collectif dans du personnel et du personnel dans du collectif. Ca demande une énergie dingue mais moi j’aime fédérer les gens. J’aime les gens. Après, je me suis arraché les cheveux 70 milliards de fois car ce n’est pas toujours idyllique.

De ta triple casquette autrice metteuse en scène ou comédienne, quelle est celle que vous appréciez le plus ?
C’est compliqué parce que c’est l’exaltation des sens. Resteront toujours mes pieds de comédienne. Sur un plateau, c’est organique et viscéral. Si je n’ai pas ma dose de plateau, je m’éteins, je fane, je n’existe pas. J’aime profondément être comédienne.

Dans cette pièce, vous n’êtes que metteuse en scène ?
Non j’alterne mais j’évite car j’aime avoir le regard extérieur.  Il y a des gens qui arrivent à faire les 2. J’ai besoin d’avoir ma caméra extérieure.

Ce n’est pas compliqué d’être metteuse en scène et comédienne en même temps ?
C’est important d’avoir quelqu’un qui me fasse des retours car il est toujours possible que je foire un truc ou que je passe a côté de quelque chose.

Votre actualité ? 
Le père Noël est une ordure va s’interrompre car on joue depuis septembre dernier mais on part à Avignon au théâtre Notre dame. J’adore cette pièce car pour moi c’est un honneur de la jouer. Jeux de rôle de Nathalie Charade. On a 4 dates en mai au théâtre de la croisée des chemins. Enfin Me too au théâtre du Gouvernail que je mets en scène avec deux comédiennes sur scène. Des vacances ! (rires). Sinon de l’écriture, des mises en scène… J’aimerais aussi écrire pour le Jeune Public.

Propos recueillis par Laurent Schteiner

 

 

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