Phénix Festival : « Univergate » de Louise Caron
Le Phénix Festival nous propose actuellement Univergate de Louise Caron. Ce spectacle étonnant constitue un magnifique objet théâtral tant par son intensité dramatique, son rythme et sa profondeur. La mise en scène brillante et intelligente de Renaud Benoit nous propulse dans un schéma de société capitaliste qui finit par échapper à ses auteurs.
Une sortie de route malencontreuse et la voiture d’Etienne Ferrari heurte violemment un arbre, quelque part dans une forêt. Trainant un corps avec lui, coincé dans un espace-temps, il se rappelle des tranches de sa vie. Les souvenirs se chargent d’onirisme, sa situation nous rappelle étrangement l’Enfer de Dante : “Au milieu de la marche de notre vie, je me suis retrouvé dans une forêt sombre, que le droit chemin était perdu« .
Ce faisant, Etienne se raconte à ce corps inerte, surnommé Jack, qu’il traine avec lui. Etienne se trouve-t-il au royaume d’Hadès où son âme loquace et intarissable revisite que ce fut sa vie ou dans un cheminement cérébral halluciné. Tout un champ des possibles s’offre ainsi au public.
Etienne Ferrari, top manager au service d’une puissante multinationale Univergate, présente dans tous les segments de l’économie, demeure incrédule et dépassé à l’annonce de son renvoi. Le coup est fatal. Habitué à jouer au gré des restaurations d’entreprises avec la vie des employés, le voilà lui-même victime du système. Commence pour lui une descente aux enfers professionnelle et privée. N’étant pas préparé à ce coup du sort, il finit par entrevoir peu peu une possibilité particulière de résilience. Mais la chute s’avère rude. Cet accident lui confère alors la possibilité d’une rédemption comme si le ciel voulait lui ouvrir les yeux. Entre onirisme et poésie, Etienne n’appartient plus à son corps, il s’en est détaché pour s’élever plus haut avec une forme de responsabilité pour l’humain qu’il n’avait jamais entrevue.
La scénographie est composée de tatamis japonais, en paille. Ceux-ci rappelant certains tableaux de Mondrian, une sorte d’échiquier de couleur qui évoque la nature et la structure mentale du personnage. Les couleurs rouge, jaune et bleu deviennent des images oniriques, liés entre elles par un environnement sonore de sons organiques, et synthétiques rappelant un souvenir, un lieu, une action. On ne sait plus s’il s’agit d’un cheminement cérébral ou un cheminement dans la forêt. La présence de la vidéo électrise le monologue fougueux d’Etienne. Les accents cinématographiques apportent une vivacité et un ton qui parachèvent la performance remarquable de Serge Dupuis, qui fait montre d’une extraordinaire dimension scénique. Soulignons le travail colossal du duo Renaud Benoit-Serge Dupuis qui ont su créé un univers singulier, un entre-deux, où la rédemption prend tout sa place. Ce spectacle, véritable coup de cœur, est à découvrir d’urgence !
Laurent Schteiner
Univergate de Louise Caron
Mise en scène de Renaud Benoit
avec Serge Dupuy et Renaud Benoit
- Lumière : Emmanuel Wetischek et Fred Bremond
- Création sonore et musicale : Fred Parker