Festival Pampa : « Occupe-toi du Bébé » de Dennis Kelly

Le Festival Pampa offre un cadre unique puisqu’il a la particularité de se dérouler chaque année hors les murs, en pleine nature. Dans cet espace privilégié, les pièces qui nous sont offertes confèrent une dimension surprenante au déroulé des propos. La représentation de la pièce de Dennis Kelly, à la nuit tombante, Occupe-toi du Bébé, dans une jolie mise en scène de Claude Leprêtre, n’échappe pas à cette règle en nous procurant un cachet supplémentaire.

Dennis Kelly, dans ce docu-fiction, convoque de concert la réalité et la fiction dans un propos tiré d’un fait divers où une mère de famille, Donna, a commis un double infanticide. Incarcérée, elle est finalement jugée irresponsable et relaxée sur la base d’un diagnostic médical démontrant qu’elle souffrait du syndrome de Leeman-Ketley, un trouble patent du comportement. Ce terrible fait divers compliquant sévèrement la tâche de sa mère, Lynn, député du Parti Indépendant, en pleine bataille  électorale pour les législatives. Jouant de toutes les compromissions possibles pour gagner ces élections, Lynn en véritable animal politique, utilise toutes les stratégies possibles la menant à la victoire. Dans cette tragédie, Dennis Kelly pratique une autopsie de cette histoire en invitant toutes les parties concernées à s’exprimer sous forme de témoignages. De facto, la vérité issue des réseaux sociaux s’avère plus que jamais relative. On croit l’appréhender mais elle finit toujours par se dérober au dernier moment. Les tâtonnements et les hésitations soulèvent des questionnements où la vérité se perd. Dennis Kelly façonne cette histoire en tordant la réalité au point de faire naitre une fiction dissipant son essence première et réduisant le champ de nos certitudes.

Claude Leprêtre signe une mise en scène originale, grinçante et parfois cocasse traduisant un travail colossal. La mise en perspective de ce propos singulier explore une réalité qui se perd dans les dédales d’une vérité insaisissable.  Les comédiens enlèvent avec brio la part d’ombre que constitue parfois les pans d’une réalité peu sûre. Saluons la performance de Marion Noone qui interprète cette mère infanticide dont la raison vacille sur une fragile ligne de crête. A la faveur de cette dramaturgie, Dennis Kelly en profite pour rebattre les cartes d’une société où les simulacres de vérité génèrent des certitudes assises sur nos fantasmes. A ce jeu à somme nulle, la vérité en ressort toujours la grande perdante.

Laurent Schteiner