En aparté : Aïda Asgharzadeh

par | 2 Oct 2022

Aïda Asgharzadeh, autrice et comédienne nous offre un entretien passionnant sur son dernier spectacle, Les Poupées Persanes, mis en scène par Régis Vallée et actuellement au Théâtre des Béliers. Il s’agit de l’une de ses pièces les plus intimes qui fait écho aux évènements qui se déroulent en Iran. 

Vous êtes autrice et comédienne. Vous avez écrit Le peuple de la nuit, ultime sabotage; Les Vibrants, Le dernier cèdre du Liban, La main de Leïla et les Poupées Persanes. Comme se déroule chez vous le processus d’écriture ? Quel est le point de départ ? Un thème ? Un personnage ?
Aïda Asgharzadeh _
J’ai souvent une image forte  qui s’impose. Un sujet va tout d’un coup m’animer, quelque chose dont je veux parler ou que j’ai besoin d’en parler. Mais avant d’imaginer une structure, c’est un peu comme un puzzle qu’on met en place, j’ai une image très forte qui me vient d’un personnage, d’un lieu qui me donne presque l’ambiance du spectacle. De là, je déroule le reste de ma pensée. Après, il s’agit d’une méthode très structurée de personnages, d’époque et de rythme. Je ne commence pas à dialoguer dans tous les sens. C’est très construit.
Par exemple pour Les Vibrants, Benjamin Brenière qui faisait le rôle principal, Eugène, m’avait parlé d’une expo qu’il avait vu sur l’art en 1917. Il y avait aussi une salle dédiée aux Gueules cassées. C’est lui qui m’a insufflé l’idée des Gueules Cassées. Ce qui m’intéressait, c’était comment on se répare et le rapport à l’art. C’est pourquoi j’ai dévié sur Sarah Bernardt. L’image était moins fantasmée car il s’agissait du rapport de ce grand nez de Cyrano avec une gueule cassée qui n’a pu de nez. Pour Le dernier cèdre du Liban, il s’agissait d’une journaliste qui couvrait le conflit en Centre-Afrique et qui est morte très jeune. Je me suis interrogée comment quelqu’un de si jeune prend le risque d’aller mourir pour diffuser une information que nous lisons ensuite. On est affecté mais on continue notre journée. J’avais envie de parler de ça. Je cherchais un angle émotionnel. J’ai eu cette image de cette femme dans un studio un peu sombre à Paris en culotte débardeur. Elle est enceinte et elle hésite à prendre un médicament pour avorter. je la vois le prendre. Puis regretter et aller se faire vomir. Puis se mettre à enregistrer son témoignage pour ce qui va être sa fille plus tard. Pour les Poupées Persanes, évidemment je voulais parler de mon héritage familial de mes parents qui ont fui la révolution. Mais l’image forte qui s’est imposée qui est le moment de la traversée de la frontière Kurde. J’avais l’image d’un sorte de combat sur une musique spécifique de Shajarian (Jewels of love) qui était une forme de Capoeira, un combat où on ne se touche pas. Finalement, on s’en est inspiré.

Comment envisagez-vous une participation en tant que comédienne ?
A.A_
Je ne l’envisage pas en fait. (Rires). Je sais que potentiellement je vais jouer dans la pièce mais je ne sais pas quel personnage. Ben entendu, je prends en compte l’âge qui me permet de faire tel ou tel personnage ou pas. Dans les poupées persanes, entre la distribution que fait Ariane Mourier et la mienne, nous aurions pu inverser.

On note dans votre inspiration, une sorte de récurrence sur le thème de la guerre ? Qu’en est-il réellement ?
A.A._ Il s’agit d’une question sur laquelle je me suis beaucoup interrogée. Ce qui m’inspire dans un temps de guerre, de crise, toute émotion qui en ressort est une émotion extrême. Comment l’humain réagit dans des conditions extrêmes ? La bonté, la générosité, l’aide, la survie. Cela crée un climat dramatique à gros enjeu. Dans ma prochaine pièce, il n’est pas question de guerre. Mais cela traite d’autre chose mais qui me met émotionnellement autant en colère. Ce que je cherche, ce sont des gros curseurs.

Lorsque vous écrivez, avez-vous le désir secret de jouer tel ou tel personnage ?
A.A._
Pas vraiment. Quand j’écris les dialogues, je fais en sorte d’avoir envie de jouer tous les personnages. A défaut, je me dirais qu’il y a un personnage qui n’est pas bien servi. Si je n’ai pas envie de jouer un personnage, c’est qu’il n’est pas assez travaillé.

Pourquoi avoir pris tant de temps pour écrire sur l’Iran ? 
A.A._ Il est certain que je mets de moi dans toutes mes pièces mais un peu plus caché que dans les Poupées Persanes. Il est évident de faire le lien avec mes origines. Et le fait qu’entre en jeu la mémoire de mes parents, j’ai pris soin de ne pas leur faire de tort. Ils ne souhaitaient pas parler de ce qui leur était arrivé. Ai-je le droit de le faire si ils n’en n’ont pas envie ?

Précisément, cet héritage n’est pas un peu lourd pour les générations qui suivent ?
A.A._ Il est très conséquent. Très égoïstement, ça me délivre d’en parler. Cela interfère chez mes parents qui sont eux-mêmes soulagés.

Que pensez-vous des événements en Iran ?
A.A. _ 
Honnêtement, il y a quelques jours, je n’avais pas beaucoup d’espoir. A chaque fois qu’on a tenté quelque chose, cela a été réprimé violemment. Cela  a l’air de prendre des proportions autres à travers le monde entier avec un soutien très massif dans beaucoup de pays, de cercles. Peut-être que parce que le fait que cela passe par la condition de la femme, cela permette d’apporter quelque chose de plus général à cette lutte. Il faut en parler pour ne pas que cela s’étouffe. On en est à un stade de révolte où on est à bout, où on ne peut plus vivre comme ça en Iran. C’est ça ou rien. Avec un soutien mondial et continu, peut-être que cela donnera quelque chose et si ce soutien se perd, le régime est assez puissant pour étouffer la population. Ce soutien existe car il y a des manifestations dans de nombreuses villes, que des artistes en parlent pendant les concerts…

Pour les Poupées Persanes, vous avez retrouvé Régis Vallée. comment s’est créée cette nouvelle collaboration ? 
A.A. _ Oui je voulais travailler avec lui. Nous amis depuis de très nombreuses années. Quand il a mis en scène LA main de Leïla, j’ai tout de suite pensé à lui pour Les Poupées parce qu’il me fallait cette extrême bienveillance. Il a également quelque chose de solaire et de très humain qui colle bien avec la culture iranienne. Le spectacle parle de la révolution islamique mais j’avais besoin que cela ne soit pas sombre non plus avec beaucoup d’humanité. Rien que dans l’écriture, ça commence comme un conte et se finit comme un conte. J’avais besoin d’avoir à mes côtés quelqu’un en qui j’avais toute confiance pour raconter cette histoire.

Que vous a apporté cette nomination de la révélation féminine en 201 aux Molières pour La main de Leïla ?
A.A. _
C’est extrêmement rassurant. Evidemment on n’en pas besoin pour exister. Mais c’est un métier si difficile dont la valorisation est très subjective. Il y a des écoles d’art dramatique. Quand on n’ a pas fait une école nationale, il n’y a pas de diplômes d’état. Jugez d’une émotion, c’est subjectif. Pour soi-même, se trouver à sa place, c’est très particulier. Je pense que le syndrome de l’imposteur chez les comédiens est très présent. C’est toujours quelque chose qui m’a questionné quand je joue dans mes propres spectacles, quelle est ma place en tant que comédienne, en tant qu’auteure ? Cette nomination, je ne m’y attendais pas du tout. Cela m’ a rempli de joie. Je me suis dit : il y a des gens du métier qui ont pris le temps et la peine d’écrire mon nom sur un papier en pensant que je méritais cette nomination. C’est très réconfortant.

Est-ce que chez vous la comédienne est complémentaire de l’autrice ?
A.A._ Non, c’est dissocié. Si pour le bien du spectacle, il est nécessaire que je ne joue pas dedans, je ne jouerais pas. J’écris pour la télé des choses dans lesquelles je ne joue pas. Ce sont deux activités complémentaires : j’ai besoin des 2. J’ai besoin de la solitude de l’auteure mais j’ai besoin de l’extrême sociabilité de la comédienne pour être en équilibre.

Ecrit-on pour soi ou pour le public ?
A.A. _ Je ne me pose pas trop la question car pour les Poupées Persanes je n’aurais pas pris le pari que la révolution iranienne puisse intéresser beaucoup de gens en France. Ce n’est pas très connu, en fait. La culture iranienne est peu connue. Son histoire également. Si je voulais faire quelque chose de « mainstream », je serais partie sur autre chose. Mon envie était de raconter cette histoire. Et si c’est très sincère, avec du rythme, ça me plaira et donc également à d’autres. Pour moi un spectacle, c’est comme la vie : un ensemble de pièces qui s’emboitent toutes ensembles.

Propos recueillis par Laurent Schteiner

 

© Laurent Schteiner

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