En aparté : Laetitia Guédon, directrice des Plateaux Sauvages
Laetitia Guédon, directrice des Plateaux Sauvages, nous a offert un entretien passionnant autour de son événement phare, le banquet de « La Grande Personne ». Une soirée évènement dédiée exclusivement à une personnalité issue du monde artistique et/ou littéraire à laquelle Laetitia Guédon tient à rendre hommage. « Une grande Personne » qui s’est distinguée par un parcours hors-normes.
Depuis maintenant 4 ans, vous invitez une personnalité de choix et vous créez un banquet en son honneur. Comme vous est venue l’idée d’un tel concept ?
Laetitia Guédon_ Les Plateaux Sauvages entretiennent un rapport au livre très important, à travers les autrices et les auteurs. Un des premiers gestes, quand on a construit le lieu, a été de rénover la bibliothèque et de créer un accès libre. Il s’agissait de donner une place importante aux auteurs dramatiques et d’accueillir la maison Antoine Vitez qui a ses bureaux chez nous. J’avais envie au départ de faire découvrir au grand public et au public du quartier ce que c’était un auteur, pas seulement à travers ses écrits, mais que veut dire écrire aujourd’hui ? Que veut dire raconter le monde aujourd’hui ? Qu’est-ce qu’un éditeur ? Quelle est la relation à l’imaginaire ? On a commencé avec une autrice Maryse Condé, une magnifique autrice guadeloupéenne qui a obtenu le prix alternatif de littérature. Il était important de créer un événement pour célébrer cette autrice. J’ai pensé inviter le public à quelque chose de convivial, de fraternel, de ludique : un banquet. Il n’y avait rien de mieux que la table pour se parler, quelque chose de culturel. A cette occasion pour ce premier épisode, Leila Slimani et Laurent Gaudé étaient intervenus pour témoigner de leur admiration et par rapport aux écrits de Maryse Condé. Et devant l’enthousiasme de Leila Slimani et Laurent Gaudé, j’ai décidé de poursuivre cette expérience avec ces deux auteurs.
Mais vous avez invité ensuite Natalie Dessay…
L.G._ qui n’est pas une autrice. L’idée était de se dire pourquoi ne pas étendre cet évènement à des personnalités du monde des arts. Je suis personnellement admirative et ébahie devant les parcours des gens. Comment se sont-ils construits ? C’est le cas de Natalie Dessay. Quel est le parcours d’une cantatrice qui décide de mettre un terme à sa carrière de chanteuse pour revenir au théâtre, ses premières amours ? Il y avait là quelque chose d’inspirant.
On remarque qu’à l’exception de Laurent Gaudé, les « Grandes Personnes » invitées sont des femmes.
L.G._ Ce n’est pas un choix délibéré de ma part. Il s’agit de femmes puissantes, intelligentes qui inventent le monde. Mais un Thomas Pesquet aurait tout à fait sa place, un Patrick Boucheron ou encore un Wajdi Mouawad.
Ce concept de « Grande Personne » rappelle l’enfance ?Â
L.G._ Exactement. Pour moi, la grande personne c’est l’enfant qui regarde quelqu’un. Quand on est petit, tout nous parait grand. Cette appellation est un peu une provocation. Ces personnes-là , Delphine Horvilleur, Christiane Taubira, Maryse Condé incarnent des figures un peu extraordinaires qui ont réussi des prouesses humanistes, politiques, philosophiques. Et en même temps, dans cet événement, on montre que ce sont des personnes avant tout, des femmes et des hommes comme nous tous en proie au doute, à la vulnérabilité. Je dispose d’une expérience intime très riche, ayant perdu ma mère il y a 4 ans et mon père depuis plus longtemps…Je me suis retrouvée à 37 ans orpheline. Je me suis dit : « maintenant c’est moi la grande personne. Je vais prendre mon destin en mains ». N’ayant plus d’instances au-dessus de moi, j’étais devenue la grande personne. Ceci est galvanisant même si je regrette profondément la perte de mes parents.
Combien de temps vous faut-il pour organiser une fête pareille ?Â
L.G._ Assez longtemps car je ne travaille pas seule. Je travaille avec une journaliste, Marion Zipfel avec qui je construis le narratif de cette soirée. Je suis personnellement metteure en scène de théâtre mais je ne suis pas journaliste. L’idée n’est pas d’organiser une soirée journalistique ni politique mais plutôt consensuelle. On peut me le reprocher. Ce sont des soirées qui font l’éloge de la personne. On ne vient pas la piéger. Concernant Christiane Taubira, on va s’intéresser plus à son parcours d’écrivaine et son appétence des arts que de ses prises de positions politiques. Ce qui nous intéresse est de retrouver de la fraternité. Pour ce faire, il nous faut un narratif. D’abord, je rencontre « la grande personne » et je lui pose la question « quelle serait sa table rêvée ? » Je dispose d’une liste de personnes que j’appelle ensuite. Avec Marion, on tisse ensemble le narratif de la soirée festive, enlevée afin que personne ne s’ennuie ! Ce travail comprendra 3 mois de préparation.
Quelle est la composition de l’équipe ?
L.G._ Je dispose d’une équipe de 13 personnes qui se mettent totalement au service de cette soirée, et qui est notre production déléguée : mon directeur technique qui organise tout le plateau pour que les chanteurs, les chanteuses, les musiciens qui vont venir, puissent se trouver dans les meilleurs conditions de travail, toute mon équipe de communication qui va mettre en forme toutes les interviews (car parfois, il y a des artistes qui sont en répétition ou en jeu et qu’il convient d’enregistrer au préalable), toute mon équipe d’administration de production qui va s’organiser pour assurer la venue des personnes. Donc toute une équipe mobilisée jusqu’à la librairie, l’accueil et la sécurité. Sans oublier notre cheffe, Rosilene Vitorino qui tient le bar des Plateaux Sauvages et qui prépare un menu spécifique. Pour la première fois avec Christiane Taubira, elle va réaliser complètement un menu de A à Z. Généralement, je demande aux « Personnes » s’il y a un plat incontournable qu’elles adoreraient partager et manger. Son défi est de revisiter ce choix de met à sa manière. Pour Natalie Dessay, ce fut le défi d’un bÅ“uf Wellington, pour Delphine Horvilleur il y avait du pain tressé sur la table et l’idée de revisiter une cuisine israélienne au carrefour des mondes avec le Brésil, pour Laurent Gaudé, c’était l’influence de l’Italie. Concernant Christiane Taubira, notre cheffe qui est brésilienne concoctera un menu aux saveurs de l’Amazonie puisque Christiane Taubira vit désormais en Guyane, un département d’Outre-Mer adossé au Brésil.
Comment financez-vous cet événement ?
L.G._ C’est un objet qu’on sanctuarise. Lorsque je parle de production déléguée, il s’agit vraiment un investissement des Plateaux Sauvages. Le but est de faire connaitre à des gens du quartier qui n’auront jamais l’occasion d’être à la table d’une personnalité aussi médiatisée que Christiane Taubira ou que Leila Slimani et de partager ce moment-là . C’est un projet où on ne va pas chercher la rentabilité. On va chercher à faire connaitre le lieu. J’ai des témoignages de gens du quartier, pour qui, une fête comme celle-là est Noël avant l’heure et qui ne pourraient jamais rencontrer ces personnalités si on ne faisait pas ce type de projet.
Comment s’organise la publicité de cet évènement ?
L.G._ Nous avons une communication toujours particulière parce que car la jauge est très limitée. 110 personnes. La soirée n’est pas filmée. Il s’agit d’un « one shot ». Cela fait l’objet ensuite d’un podcast. L’idée est de sortir des écrans. On veille à deux choses : on ouvre les places à une certaine date et en 15 mn toutes les places sont prises mais on sanctuarise toujours des places pour les gens du quartier et pour ceux qui ne sont pas habitués à se connecter sur un site internet.
Quel sera la prochaine personnalité ?
Je ne sais pas encore (rires). Les idées me viennent comme ça. Il faut que les personnalités aient envie de jouer ce jeu là . Cela peut être inquiétant car elle perdent le contrôle de ce qui va leur arriver. Elles doivent être dans le lâcher-prise dans une soirée où elles ne connaissent ni les tenants ni les aboutissants.
Propos recueillis par Laurent Schteiner.