Théâtre : « Hélène après la chute » de Simon Abkarian

Le théâtre de l’Athénée nous propose actuellement la dernière création de Simon Abkarian, Hélène après la chute. Ce huis clos, qui prend racine dans la Grèce classique, s’inscrit comme le deuxième volet de Ménélas Rebétiko Rapsodie créé en 2012 par Simon Abkarian. Ce face à face, esthétique, intense et cinglant entre les deux anciens époux, brille par sa modernité intrinsèque. 

Catalyseur de la guerre de Troye, Hélène, enlevée par son amant Pâris, a constitué un enjeu politique et militaire. Aux termes de dix années d’attente, Ulysse en fin stratège, associé à Ménélas, réduisent Troye en cendres. De retour à Sparte, Hélène se présente face à son ancien époux. Connaissant le prix de sa trahison, elle accepte  son sort avec fatalisme. Dans un huis clos où la tension est palpable, Hélène, reine déchue, n’a plus rien à perdre. Les rêves de jeunesse enfouis resurgissent avec aigreur telle une lave brûlante qui les immerge à nouveau. Se rejetant la faute l’un sur l’autre, ils désavouent leur conduite dictée par la raison et la logique. Tous deux arguent du fait qu’aucune autre alternative n’était alors possible. Le fil des évènements rallume la mèche des frustrations et des occasions manquées. Hélène, sensuelle dans une tenue mettant en valeur son corps sculptural, défie Ménélas qui rejette ce rôle de putain qu’elle souhaite endosser. Hélène doit avoir un autre destin ! Il connait les erreurs qu’il a commises et aspire maintenant à la rédemption. Le pouvoir est devenu l’expression de faux-semblants. Etre sans Hélène est devenu impossible. Le vie lui a donné une telle leçon qu’il n’aspire qu’à reconquérir Hélène et lui offrir à nouveau le rang et l’honneur qu’elle mérite.

Dans une langue poétique, Simon Abkarian fait s’entrechoquer les sentiments amers et cinglants des deux époux. Leur confrontation âpre procure un état des lieux rempli de récriminations et d’une certaine nostalgie des temps passés où le bonheur paradait sans vergogne. La scénographie très esthétique apporte un cachet au propos de la pièce. Les repirations musicales de Macha Gharibian à la voix et au piano entretiennent un savant équilibre justifiant le silence sans jamais influer sur le cours de la pièce. Cette liberté accompagne délicieusement le propos. Aurore Frémont et Brontis Jodorowsky traduisent avec brio ce couple dans la tourmente, où la pudeur fait place à la nudité de l’intime. Tout est à nu, les corps et les âmes dans leur matériau brut nous bouleversent par leur troublante et éternelle humanité.

Laurent Schteiner