Festival : en aparté avec une famille de comédiens : Heidi-Eva Clavier, Coco Felgeirolles et François Clavier

par | 11 Juil 2024

En aparté à l’occasion de ce festival, nous avons décidé de mettre à l’honneur une famille de comédiens., Heidi-Eva Clavier, sa mère Coco Felgeirolles et son père François Clavier. Découvrez cet entretien passionnant ! 

SLP_ Quelles sont les contraintes rencontrées dans une famille de comédiens ?

Coco_ Ce n’est pas simple. Mais en même temps, comment vit-on dans une famille qui n’est pas artiste, il me semble que c’est encore plus compliqué. C’est difficile pour quelqu’un qui n’est pas acteur de comprendre les allers et retours, les changements… c’est compliqué. Du coup je pense que c’est quand même la meilleure chose qui soit.

François_  Je pense que c’est vrai ce que Coco a dit. Il y a des périodes où nous sommes un peu bouleversés par les personnages que nous jouons. Il y en a qui nous font changer de caractère. Des fois, nous avons des enjeux très forts avant la première, nous sommes très tendus et nous sommes désagréables et toutes ces choses là… C’est vrai que quand nous constituons un couple de comédiens, nous apprenons à accepter ces moments chez l’autre. Et puis il y a toujours aussi des phénomènes de concurrence. Ce n’est pas de la concurrence directe mais parfois, il y en a une qui a un boulot et l’autre n’en a pas. Il y en a un qui travaille dans un centre dramatique (Coco éclate de rire : « c’est lui »), et il y en a un autre qui travaille dans une petite compagnie. Cela fait des petites concurrences. Mais cela se gère très bien.

Heidi-Eva_ : Qu’est-ce que je pourrais ajouter ? Moi, j’ai grandi dans une famille d’acteurs. Pour moi c’est la normalité. Ce métier un peu instable où des fois il y a des gros « rush » de travail, ou bien le fait de ne pas pouvoir prévoir. Je m’en rends compte, par rapport à la plupart des gens, moi, le CDI m’angoisse beaucoup. Et la précarité du métier, c’est tellement ma normalité que cela ne m’angoisse pas. Je suis attentive à faire mes heures comme tout le monde mais ce n’est pas du tout un facteur d’angoisse. Mon compagnon n’est pas dans le domaine du théâtre directement. Je le préviens. Parce que des fois quand je rentre je suis complètement habitée par des trucs, je lui ai dit, “ne t’inquiète pas, tu sais, on est un peu drama queen dans ce métier ».

François_ J’ajoute une petite anecdote de Heidi-Éva. Quand elle nous a dit pour la première fois qu’elle voulait faire du théâtre, nous nous sentions un peu désemparés. En lui disant « tu vois bien que c’est difficile, tu as plein de qualités, tu réussis très bien tes études, tu peux faire scientifique ». Nous lui avons demandé pourquoi elle voulais faire du théâtre. Elle nous a répondu « parce que le théâtre est plus vrai que la réalité. »

SLP_ Lorsque vous travaillez en famille, comment gérez-vous les désaccords ?

Heidi-Eva_ En se tapant sur la tête (rires).

Coco_ C’est comme faire partie des Bouglione. C’est-à-dire qu’il y a des conflits chez nous aussi. Nous essayons de les intégrer à la création. Socrate a dit que le théâtre est l’art du conflit. C’est-à-dire que nous les utilisons aussi. Appels d’urgence est fait autour de jeux comme cela, d’une écriture qui va de la fiction au réel. Et ce qui est rigolo dedans c’est que ma fille est metteuse en scène, et je dis clairement dans le spectacle qu’il y a un conflit important entre la mère et la fille. Parfois les gens qui ne nous connaissent pas disent “j’espère que sa fille n’a pas vu le spectacle”.

François_ Je peux vous donner un autre exemple. Il y a longtemps, dans les années 85, Coco et moi avons fait un spectacle qui s’appelait La nuit et le moment. Nous nous étions fixé une règle: dès que nous sortions de la répétition, nous ne parlions pas du travail. C’était un spectacle qui mettait en jeu des choses très intimes, de notre propre histoire. Donc, dès que nous sortions de répétition, nous ne parlions pas. Ce sont des règles que nous posons quelquefois, selon les thématiques.

Heidi-Eva _ Quand les gens me posent la question de notre rapport, je raconte souvent une histoire: Marcel Maréchal (avec qui Coco et François ont beaucoup travaillé quand j’étais petite) et son fils Mathias travaillaient ensemble. Je voyais que Mathias appelait son père « Marcel » . Moi je me disais, mais pourquoi ne l’appelle-t-il pas « papa » ? Et en fait, naturellement, dès l’instant où nous travaillons ensemble, je les appelle Coco et François. Ce n’est pas une posture, cela se fait comme cela. Parce que ce n’est pas exactement le même endroit de relation. Nous n’avons pas le même rapport quand nous nous voyons pour un anniversaire que dans le travail. C’est heureux dans les deux cas mais ce n’est pas pareil.

SLP_ Heidi-Eva, pourquoi avoir choisi de faire ce métier aussi?

Heidi-Eva_ Quand j’avais 10 ans, Coco jouait sous la direction de Marcel Maréchal, Les trois mousquetaires et François jouait dans Roméo et Juliette. C’étaient de gros spectacles avec des équipes importantes et de grandes tournées à la clé dans de grands théâtres. Du coup, quand tu as deux parents en tournée, il y a pas mal de moments où tu les suis. C’est la raison au tout début. La vie de tournée. Ça me semblait la plus belle vie du monde. Après, j’aime penser que se sont ajoutés des enjeux plus artistiques (rires). Mais profondément à 10 ans c’est pour avoir la chance de vivre cette vie de tournée. Je trouvais ça tellement magique.

SLP_ Votre réaction est amusante. Quand vous avez su que votre fille voulait devenir comédienne, quelle est la première chose à laquelle vous avez pensé?

Coco _ Comme tous les parents, nous aurions aimé avoir une fille médecin…

François_ En plus, elle est très douée pour la médecine. Elle est très douée pour la musique aussi.

Heidi-Eva_ Pas du tout.

SLP_ Votre réaction est amusante. Quand vous avez su que votre fille voulait devenir comédienne, quelle est la première chose à laquelle vous avez pensé§?

Coco _ Comme tous les parents, nous aurions aimé avoir une fille médecin…

François_ En plus, elle est très douée pour la médecine. Elle est très douée pour la musique aussi.

Heidi-Eva_ Pas du tout.

(c) Xiaoyuan Wang

SLP_ Pour Appels d’urgence, comment s’est déroulée l’entente entre mère et fille ?  Quelles ont été les difficultés ?

Coco _ Il y a une chose qui n’est pas si simple quand même, c’est que je fais plusieurs personnages seule sur scène, dont mes enfants (les enfants du rôle), et la fille, je l’interprète un peu parfois de manière désagréable. Elle est sûre d’elle, très moderne. Quelquefois, Heidi-Éva, en tant que metteuse en scène, refuse que je la représente comme cela.

Heidi-Eva_ Je vois ce que tu veux dire, mais je ne m’identifie pas à la fille. C’est que je pense que c’est mieux quand elle est plus sympathique. Après peut-être j’ai une empathie pour la position…

Coco_ En même temps, tous les personnages j’ai essayé de leur donner une chance, même à la belle fille. Au fond, les conflits que nous pouvons avoir sont ceux que nous pouvons avoir avec tous les metteurs en scène, et il y en a de moins en moins quand on vieillit. Plus nous connaissons nos métiers, plus nous pouvons négocier avec la demande. Nous n’en avons pas plus avec quelqu’un de la famille.

SLP_ François, vous participez de temps en temps à des répétitions pour donner des conseils ?

François_ Non, pas du tout. J’ai déjà joué avec Heidi-Éva dans 2 spectacles. C’est très simple et naturel, que nous nous retrouvions en position de partenaire, ou en position de comédien vis-à-vis du metteur en scène.

Coco_ C’est toujours une fonction. Metteur en scène est une fonction que ce soit  ton enfant ou ton grand père.

Heidi-Eva_ D’un point de vue pratique vraiment j’ai l’impression qu’il n’y a pas de différence dans la façon de travailler entre avec mes parents ou avec d’autres comédiens. Disons qu’il y a une chose c’est que Coco et François ont beaucoup enseigné, et moi aussi, depuis très jeune. Et nous avons énormément parlé du théâtre. Il y a un vocabulaire commun. Pour la question de la présence de François sur Appels d’urgence, non, il a beaucoup vu le spectacle une fois fini, mais ne s’est pas du tout mêlé aux répétitions, et heureusement. Pour laisser l’espace aux autres personnes. Par exemple, pour Appels d’urgence, c’est un vrai travail de trio avec l’autrice, Agnès Marietta. 3 femmes de 3 générations (Agnès est l’intermédiaire entre nos générations). Laisser une place parfaitement égalitaire dans le travail et ne pas s’enfermer dans le cercle de la famille, c’est fondamental. Sinon ce serait très réduit.

SLP_ Présentez les projets actuels à Avignon ?

François_ Je joue dans un spectacle qui s’appelle La maladie de la famille M de Fausto Paravidino à 21H20 à Présence Pasteur. C’est une pièce d’un auteur italien qui raconte l’ histoire d’une famille dans laquelle les choses ne se passent pas génialement. C’est une tragédie italienne. Cela a été monté par une jeune femme qui était mon élève du conservatoire au 13e arrondissement, Marie Benati. J’étais très heureux parce qu’il a reçu le grand prix du festival de Nanterre.

Coco_ Je joue par ailleurs à 21H15 au Théâtre du Chien qui fume, une pièce qui a été écrite dans les années 80, qui s’appelle Le Lavoir avec 13 actrices sur scène. Une grande et belle équipe de femmes. La metteuse en scène est Frédérique Lazarini.

Heidi-Eva_ Quant à moi, je mets en scène Coco à 19h15 les jours impairs avec Appels d’urgence. L’histoire d’une grand-mère devenant de plus en plus punk parce qu’elle en a marre que la société tente de la réduire à son âge, dans un cadre de plus en plus serré. Si à un moment, il n’y a plus de place pour respirer dans le cadre, il va falloir en sortir. Parallèlement, les jours pairs, je mets en scène un autre spectacle qui s’appelle Romance dans laquelle joue Marion Trémontels. L’histoire d’une jeune fille qui a projeté un attentat, sous emprise, et qui est racontée par sa meilleure amie, notamment à sa mère, sans jamais porter le moindre jugement. Nous faisons attention à ne pas nous attacher à l’idéologie mais toujours à la question de la mécanique, implacable, d’isolement et de coupure avec le réel. Le jour des « Officieuses » à Artéphile, le 16 juillet à 15h15, François, Coco, Marion ainsi qu’un super comédien/musicien viennent faire une lecture de 20 minutes du prochain projet de la compagnie qui s’appelle Dans ses yeux. Nous allons présenter l’autrice et à la fin des 20 mins, nous allons faire un échange avec l’autrice d’Appels d’urgence, l’autrice de Romance et l’autrice de Dans ses yeux, nous allons essayer de réfléchir ensemble sur l’écriture théâtrale au féminin en France aujourd’hui.

Propos recueillis par Xiaoyuan Wang

 



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