Pinter à l’Odéon est déjà en soi un bel hommage.  Mais y jouer le retour est le gage d’un excellent choix de programmation. Cette pièce mise en scène par Luc Bondy tient toutes ses promesses. Emmené par un Bruno Ganz étincelant, les comédiens font des merveilles dans une scénographie datée années 60.  L’univers « pinterien » s’offre à nous avec ses résonnances dérangeantes d’une vie terne et immobile, comme mise en suspens. Face à une « société » déstabilisante, une approche psychanalytique parait apporter une réponse susceptible de rassurer nos âmes préformatées.

 

Les spectateurs découvrant sur scène la découpe d’un appartement prennent le cours d’une vie de famille en pleine décomposition. Constituée du patriarche, Max, de ses fils Joey et Lenny et de son frère Sam, cette société d’hommes s’autorégule sous la houlette despotique du maitre des lieux. Max apparait comme la figure dominante. Cet ensemble sans espoir ni illusion vivote. Une vie faite de riens en apparence. Mais un fantôme hante les lieux, celui de la femme de Max, présente dans toutes les conversations. Sa mort est ressentie diversement par les protagonistes de la famille. Lenny ne se rappelle plus bien de ces moments partagés avec elle. La douleur de l’abandon en fait une épave à la dérive. Il fait appel aux souvenirs de son père qui se confie à son fils à travers un prisme bien particulier, celui où la femme-putain. Max a repris le relais maternel en remémorant des souvenirs plus ou moins vrais et entend se poser en tant que seul référent valable. Joey, pour sa part, fait du sport et vivote à sa façon. Quant à Sam, taxi de métier, il survit en tentant de prouver qu’il demeure utile à la société.

 

Mais le retour du dernier fils de Max, Teddy et de sa femme Ruth va déclencher une réaction en chaine qui leur sera préjudiciable. La machine familiale à broyer les personnalités de sa progéniture, tel Kronos qui dévore ses propres enfants, se réveille avec violence. Ce couple par qui le scandale arrive sera balayé et traîné dans une boue nauséabonde créant un sentiment de malaise intense.

 

Les silences toujours très connotés chez Pinter deviennent des sujets d’analyse par le fait qu’ils permettent d’accuser les coups portés. A ce titre, Luc Bondy joue avec les postures et attitudes des personnages dont les corps se crispent et se cabrent sous les traits de Max. Ces moments parfois interminables transcrivent le temps nécessaire aux personnages pour encaisser les remarques parfois cinglantes. Si cette pièce est considérée sous l’angle féministe, il importe de noter la liberté de Ruth qui incarne cette nouvelle femme qui entre dans cette société d’hommes. Manipulée ou manipulatrice, sa force est présente. Dévoyée, allumeuse, elle nous déstabilise et nous dérange. Elle nous surprend car ses actions s’arrêtent brusquement comme si une retenue l’empêchait de tout dévaster sur son passage. En fin de pièce, Max ressent nettement les choses : « est-ce qu’elle fera ce que nous voulons… ». Ruth est le seul personnage indépendant qui sait ce qu’il veut à l’inverse des autres protagonistes qui ne maitrisent rien de leur destin.

 

Les comédiens sont excellents et se hissent, grâce à une mise en scène extrêmement précise de Luc Bondy, au niveau requis pour interpréter une telle pièce. Pinter en questionnant la banalité de la vie dans toute son horreur se rapproche au plus près de l’inconscient de l’homme.

 

Laurent Schteiner

 

Le retour d’Harold Pinter

Mise en scène de Luc Bondy

Avec Bruno Ganz, Louis Garrel, Pascal Greggory, Jérôme Kircher, Micha Lescot et Emmanuelle Seigner.

Décor : Johannes Schütz

Costume : Eva Dessecker

Lumière : Dominique Bruguière

Maquillage/coiffure : Cécile Kretschmar

Son : Jean-Louis Imbert et Peter Cant

Crédit photo : Ruth Walz

 Jusqu’au 23 décembre 2012

 

En tournée :

Luxembourg : les 14 et 15 janvier 2013

Zürich : du 23 au 25 janvier 2013

Toulouse : du 31 janvier au 2 février 2013

Nice : du 6 au 10 mars 2013

Rennes : du 18 au 27 mars 2013

Grenoble : du 4 au 10 avril 2013

Milan : du 8 au 12 mai 2013

Vienne : du 18 au 24 mai 2013

 

Théâtre de l’Europe – Odéon

Place de l’Odéon

75006 Paris

 

www.theatre-odeon.fr

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