Žanina Mirčevska publie aux éditions l’espace d’un instant un nouveau texte percutant « La Gorge », sorte de conte initiatique terrifiant qui ne peut laisser indifférent. Signalons que cette dramaturge née en Macédoine fera également l’objet d’une création au Vingtième Théâtre avec un autre texte « Esperanza ». Deux occasions donc de découvrir ce style noir et extrêmement riche qui ne ressemble à aucun autre !
Pardonnez-moi, monsieur, mais je dois vous conseiller d’abandonner vos anciennes habitudes et de changer de régime alimentaire. C’est un conseil vraiment sincère. / Le riche mange quand il veut, et le pauvre quand il peut…/ Vous avez les yeux plus gros que le ventre. / Même si la langue ment, l’estomac dit la vérité. / La faim est un état où l’homme manque de moyens de survie…
Qu’est-ce que l’état de satiété ? A l’heure où notre société est de plus en plus dominée par une logique de surconsommation c’est une problématique de choix que pose Žanina Mirčevska avec ce texte. Elle y met en scène dans une forme surprenante et grotesque un chauffeur de bus dont la faim extrême le pousse à avaler toujours plus, tant et si bien que l’unique solution à son mal est d’avaler son nom puis de s’ingurgiter lui-même. Constat et critique pessimiste d’un monde perdu, quête sans fin d’un paradis fantasmé pour ce conte noir aux accents brechtien. Aux confins de l’horreur l’auteur n’épargne rien à ses personnages confrontant son héros aux deux interdits fondamentaux pour l’homme que sont l’inceste et l’anthropophagie. Grace à la forme d’écriture utilisée pourtant tout passe, et l’on observe froidement celui qui avait mangé son nom plonger de plus en plus bas, de plus en plus obscurément dans un vertige monstrueux. Catapulté dans une dimension étrange et pourtant si réelle, chacune de ses rencontres est pour lui une chute de plus vers une fin inéluctable. Saluons également le style haché, précis qui impose de bout en bout un rythme angoissant et drôle à la fois. Un auteur à suivre !
Quel petit monstre. Même les enfants se moquent maintenant de moi. « Je peux te préparer un sandwich, monsieur. » Et que voulait dire ce sandwich ? Une sournoiserie. Un amuse-gueule, afin d’exciter encore plus les sucs de mon estomac. Maintenant, j’ai encore plus faim. Plus je mange, plus j’ai faim. Qu’est-ce que je pourrais manger encore ? Qu’est-ce que je pourrais goûter encore ?
Audrey Jean
« La Gorge » de Žanina Mirčevska
Traduit du Macédonien par Maria Béjanovska
ISBN 978 2 915037 82 1
15 €
éditions l’espace d’un instant
Maison d’Europe et d’Orient