Dans la fratrie ô combien talentueuse des Bellorini c’est Thomas qui s’illustre ce mois-ci au Théâtre de Suresnes Jean Vilar avec la mise en scène d’un texte bouleversant de Sedef Ecer « A la périphérie ». Ce conte moderne dresse le portrait de ceux qui sont laissés pour compte, ceux qui sont de plus en plus nombreux à peupler les bidonvilles de Turquie ou d’autres pays. Leur seule liberté : le rêve d’un ailleurs. Portée par des comédiens généreux et investis cette création résonne cruellement par sa vision extrêmement réaliste d’une misère dont on ne peut s’extraire. Magnifique !
Dilcha et Bilo ont quitté leur campagne avec l’ambition de changer de vie et de venir tenter leur chance à la grande ville. Leur voyage s’arrête sur la colline des anges et des djinns, une butte de cabanes insalubres avec vue sur les poubelles et le périphérique. Sur cette colline on rencontre aussi Tamar et Azad un autre jeune couple qui s’imagine vivre en occident, là où tout est possible. Et puis il y a les Tziganes et la belle Kybélée, ceux qui vivent encore plus en dehors du dehors, rejetés par les autres pour leurs coutumes étranges. Tous regardent de loin vivre cette ville à leurs pieds, enfermés à l’extérieur par ce périphérique infranchissable. Des destins liés par le même désir d’une autre vie, la même rage de s’en sortir, mais les moyens pour y parvenir seront différents.
Sedef Ecer pose un regard incroyablement juste sur la misère d’aujourd’hui et la retranscrit parfaitement dans cette fable douce-amère. Il est terrifiant d’assister ainsi impuissants à l’inéluctable répétition des destinées de ses personnages. Comme s’ils étaient programmés pour l’échec, ils restent confinés dans leurs bidonvilles, petits même dans leurs rêves ils ne s’imaginent pas réellement pouvoir vivre autrement. Preuve en est l’émission de télé-réalité de la Sultanne, créature glamourissime qui réalise tous les désirs des démunis. Etrangement alors qu’elle peut tout donner on lui demande parfois juste une nouvelle machine à laver.
Lorsque L’usine toxique de « Stop Herbe » s’implante sur la colline Dilcha et Bilo y voit une possibilité d’avoir un travail, événement déjà exceptionnel pour eux. Ils n’en verront pas la dangerosité ni la hiérarchie discriminatoire qui va du coup s’installer au sein de la colline des anges et des djinns. Dorénavant on distinguera ceux qui travaillent de ceux qui font toujours les poubelles pour survivre, les tziganes qu’on relèguera encore plus à la périphérie. Mais au delà de la pénibilité de ses conditions de vie, c’est aussi l’amour et la solidarité que raconte Sedef Ecer. L’espoir comme unique possibilité de survie, l’espoir qui enjolive tout, qui rend beau le spectacle des poubelles en décomposition.
Vingt ans plus tard Azad et Tamar vivent la même pauvreté au même endroit. Comme un appel lancinant d’un ailleurs idéal, Paris ou plutôt une idée de Paris leur tend les bras et les pousse à tenter le tout pour le tout. Vingt ans plus tard c’est toujours l’amour et l’espoir qui les poussent à rêver plus fort, plus loin, mais enlisés comme leurs aînés dans leur quotidien ils peinent à trouver une porte de sortie.
La mise en scène est à l’image de ce texte brillant, tout en finesse. Dans un décor à multiples niveaux les destinées peuvent ainsi s’enchevêtrer avec précision. Les personnages prennent tour à tour le rôle de narrateur, adressant leur histoire directement au public dans une simplicité désarmante, donnant du poids à cette parole multiple. L’émotion enfin est à ses combles avec les nombreux instants musicaux du spectacle, notamment les chants tziganes interprétés par Zsuzsanna Varkonyi. Thomas Bellorini utilise ainsi la musique comme langage universel pour illustrer la puissance du rêve, la force de l’espoir nous permettant d’entrevoir ce qui se passe de l’autre côté du monde et même plus près, juste de l’autre côté de notre périphérique. Vous l’aurez compris c’est du très beau théâtre, ne le ratez pas !
Audrey Jean
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« A la périphérie » de Sedef Ecer
Mise en scène Thomas Bellorini
Avec Sedef Ecer, Anahita Gohari, Lou de Laâge, Adrien Noblet, Christian Pascale, Céline Ottria, Zsuzsanna Varkonyi
Jusqu’au 27 Mars
Les lundis, mardis, mercredis et jeudis à 21H
Théâtre de Suresnes Jean Vilar
16 Place Stalingrad
92150 Suresnes