C’est comme un cadeau. Le 104 nous gratifie de la reprise pour quelques dates du sublime spectacle de Yoann Bourgeois « Celui qui tombe ». Six acrobates circassiens jouent à lutter contre les forces élémentaires, affrontant un colossal plateau tournant qui n’en finira pas de les surprendre. Un concentré de beauté et de poésie qui tombe à point nommé pour démarrer l’année sous le signe de la grâce !
L’atmosphère est feutrée, le plateau est sombre, c’est le silence, comme un air de fin du monde…Puis les premiers grincements se font entendre, la machine se met en branle lentement, un crépitement étrange et menaçant, le monstre se réveille. Le monstre c’est ce large carré de bois qui semble suspendu dans les airs, il se cabre, tourne sur lui-même, penche dangereusement, se balance à en faire tourner les têtes. Yoann Bourgeois a créé en effet pour « Celui qui tombe » un dispositif sur mesure époustouflant, une ingénierie remarquable qui en plus d’impressionner par sa puissance se révèle être la parabole sensible d’une humanité en lutte. À son bord, trois femmes et trois hommes, circassiens, danseurs et acrobates de talent, comme un échantillonnage, un micro-monde soumis aux forces physiques élémentaires, une société parcellaire qui se bat pour sa survie.  Ensemble ils se jouent des lois de la gravité, ils expérimentent le poids de leurs corps, éprouvent le rectiligne, tanguent et dansent sur le plateau de bois dans un ballet métaphysique d’une beauté inégalée. Le carré de bois, personnage incontournable de cette chorégraphie à couper le souffle devient îlot coupé du monde, tantôt refuge ou menace, tel une créature inconnue que l’on apprivoise la peur au ventre il pousse les artistes à éprouver le vide, la puissance de la force centrifuge ou le rythme haletant et dangereux du balancier. Ainsi se dessinent les interactions entre les personnages de cette danse silencieuse, du mouvement et des inflexions du plateau tournant naissent la solidarité et l’amour au sein du groupe, équilibre précaire pour le maintenir à l’horizontal. En ce qu’il a de profondément humain, ce combat contre l’instabilité est sidérant de poésie, cette lutte pour rester droit montre tout à la fois la fragilité et la force, la peur et le courage, la légèreté et la gravité. Pour un spectacle hors du temps, inoubliable.
Audrey Jean
« Celui qui tombe »
conception, mise en scène et scénographie : Yoann Bourgeois
assistance artistique durant la création : Marie Fonte
interprètes : Julien Cramillet, Kerem Gelebek, Jean-Yves Phuong, Sarah Silverblatt-Buser, Marie Vaudin, Francesca Ziviani
Au 104 jusqu’au 11 Janvier