Caractérisée un dispositif scénique bi-frontal, cette farce noire met une fois de plus en lumière la richesse des écritures issues des pays de l’est, en l’occurence ici la Biélorussie.Quatre individus en costumes de ville semblent être catapultés dans un univers rural qu’ils maîtrisent mal, un verger. Leur mission : récolter toutes les pommes, les trier, les ranger, les classer. S’ils semblent au premier abord émerveillés par l’objet de leur attention et respectueux de cet environnement naturel ils vont, par leur acharnement maladif à remplir cette mission, conduire à la dévastation de ce jardin d’Eden.
Pavel Priajko dans un style incisif dépeint la mésaventure férocement drôle de quatre clowns tragiques, littéralement obsédés par cette récolte de pommes. Une pomme comme objet de culte qui va leur causer bien des tracas et conduire à une ascension méthodique d’un désastre programmé. Hautement symbolique à plusieurs niveaux, cette tragi-comédie aux accents beckettien saisit le spectateur par la justesse de son regard sur des hommes hébétés et inconscients, des hommes qui ne trouvent pas leur place. Dans une mise en scène de l’excès où le grotesque flirte dangereusement avec la noirceur, Dominque Dolmieu nourrit avec précision un malaise grandissant. Alors que les premières tentatives ridicules de ranger les pommes se soldent par nombre d’échecs gagesques, les rires de la salle se crispent à mesure que les quatre protagonistes saccagent ce jardin fantasmé. Métaphore écrasante du monde, l’homme en se parant de bonnes intentions, sclérose tout sur son passage laissant derrière lui une terre dévastée. Il s’en retourne, sa mission de destruction massive achevée sans un regard, sans l’ombre d’une émotion, insensible au résultat macabre de son action sur ce qui l’entoure. Incarné avec brio par les quatre comédiens Céline Barcq, Barnabé Perrotey, Salomé Richez et Federico Uguccioni la pièce fait un état des lieux poétique et sinistre à la fois sur ce détachement pessimiste du citoyen à l’égard de la globalité d’une planète en déclin. Sur un format relativement court tel un condensé d’humanité en péril, Dominique Dolimeu fait résonner avec force le cynisme de Priajko et immerge le bunker de la MEO dans une atmosphère post-apocalyptique jubilatoire.
Audrey Jean
« La Récolte » de Pavel Priajko
Mise en scène de Dominique Dolmieu
Texte paru aux Éditions l’espace d’un instantÂ
ISBNÂ 978-2-37572-010-3
13€