En aparté avec Aurélie Pitrat
Aurélie Pitrat, comédienne nous fait revivre la mythique actrice hollywoodienne Hedy Lamarr grâce à l’écriture de Peter Turrini. Ce spectacle sera à l’affiche du théâtre de la Reine Blanche du 1er au 6 avril 2025. Hedy Lamarr au destin incroyable, non contente d’être une star de cinéma à 19 ans, adulée de tous, elle a été cette géniale inventrice d’un principe de transmission par saut de fréquence qui a révolutionné notre technologie jusqu’à nos jours. Mais Peter Turini, dans sa fiction, n’a retenu que cette femme libre et indépendante, soumise à personne, ni à rien. Un destin hors-normes réhabilité sous la plume de Peter Turini et le jeu magnifique de Aurélie Pitrat !Â
SLP_ Que représente Hedy Lamarr pour vous ?
Aurélie Pitrat_ En 2020, un mouvement né en Corse (où je vis) a débuté avec le hashtag I was Corsica (un équivalent de #Metoo). Ce mouvement m’a fait prendre conscience comment l’argent public permettait de s’emparer de la voix des femmes. J’ai cherché une écriture portant sur une femmes injustement oubliée. Hedy Lamarr en fait partie. Elle se trouve dans les culottées (BD) de Pénélope Bajieu. L’idée était de revenir sur un destin atypique d’une femme incroyable. Je cherchais aussi la langue. Je remercie Peter Tirini qui m’a fait aimer la vraie Hedy Lamarr dans la fiction qu’il propose également. Tout se retrouvait entre la langue et ce destin incroyable. Une femme capable de recadrer Woody Allen dans des talk show ! … Elle a fini recluse chez elle, pauvre et délaissée de tous. En faire un spectacle était en quelque sorte réhabiliter cette femme, qui non contente d’être la plus belle femme du monde, était extrêmement intelligente. Malheureusement, elle a été passée sous silence.
SLP_ Pourquoi ce titre : 7 secondes d’éternité ?
A.P._ En 1933, elle a 19 ans. Elle part tourner avec Gustav Machaty, un cinéaste tchèque, Extase. Elle devient la première femme à tourner une scène nue et d’orgasme dans un film grand public. La célèbre et controversée scène de nue, filmée à son insu ne dura que 7 secondes. Quant à l’orgasme, il a été créé à partir d’aiguilles de tricot que le metteur en scène plantait dans son postérieur, générant force gémissements ! Elle était mariée à l’homme le plus riche du pays qui était armateur. Elle avait diné avec Hitler, elle, qui était juive ! Suite à ce film, un concert d’invectives s’est levé provoquant l’ire du Pape, d’Hitler ou encore Mussolini. Elle a du fuir sa patrie, l’Autriche. Elle ne revendiquait rien. C’était avant tout une femme libre.
SLP_ Comment Peter Turini s’est emparé de cette figure nationale autrichienne ?
A.P._ Il a eu une excellente idée en la faisant revenir à l’âge de 80 ans. Une femme revenue de tout, qui boit et qui n’est plus du tout dans la séduction. Elle se raconte, elle ment. Il se dégage un humour qui me plait énormément.
SLP_ Pensez-vous qu’elle n’était pas consciente de ce qu’elle représentait ?
A.P._ Elle était consciente de ce qu’elle représentait mais es actions n’étaient jamais dirigées pour gagner quelque chose. Souvent, on n’hésite pas à me dire qu’elle avait un côté « punk »… Elle était très libre, un peu hors de son temps mais jamais pour revendiquer quelque chose. Elle le faisait avec une liberté dingue. Elle a été mariée 6 fois. Elle aimait les hommes et comme il fallait se marier… elle se mariait.
SLP_ on parle de la femme mais quid de ses découvertes scientifiques ?
A.P._ Je ne suis pas une immense spécialiste d’Hedy Lamarr mais je ne me suis vraiment intéressée à ce qu’en avait fait Turini. Il l’a fait menteuse et joueuse. Ses découvertes n’ont été importantes que très tard tard dans sa vie. Elle avait travaillé avec George Antheil depuis les Etats-Unis. Ceci pour permettre à sa mère de quitter d’Autriche pour les Etats-Unis. Tous deux avaient mis au point ce saut de fréquence à partir des pianos mécaniques. Elle avait déposé le brevet en 1941 du saut de fréquence. A cette époque, jugée la plus belle femme du monde, l’armée lui avait fait comprendre, par une fin de non recevoir, qu’elle serait bien plus utile sur scène en chantant pour les soldats. Elle a suivi leurs conseils et y est allée. Elle n’a rien revendiqué pour elle-même. Elle a fait ses découvertes par nécessité. Ses inventions n’ont été utilisées qu’en 62 pour l’opération qui a mené la Baie des Cochons. Elle n’a été reconnue scientifique qu’en 1997 ! Et elle est morte en 2000 ! Ce qui me touche chez elle, est de faire les choses à partir de ce qu’elle est, et qui sont finalement des choses révolutionnaires.

SLP_ Pourquoi Peter Turini l’a présenté comme une joueuse ou encore une menteuse ? La chose était-elle avérée ?
A.P._ Elle a cette personnalité très « cash ». Elle s’amuse de la vérité. Pour moi elle était joueuse, c’est à dire sans aucune sorte de manipulation. Son brevet est recalé, on lui propose d’aller chante, elle y va ! Au-delà de ça, je la trouve extrêmement puissante. Elle a intégré les choses et les a modifiées. On sait qu’elle a volé et fait de la prison. Elle a un côté sale gosse que je trouve très touchant et Turini en a forcé le trait. Il en rajoute un peu (rire). Ainsi, c’est un peu compliqué de parler d’elle car il y la véritable Hedy Lamarr et ce qu’en a fait Turini. Il tenait à en faire un personnage de fiction.
SLP_ N’est-ce pas gênant la fiction de cette femme que propose Turini ?
A.P._ Il a fait ressortir les couleurs. Elle ne mâche pas ses mots. Comme il l’a fait revenir âgée. Ainsi, elle n’a rien à perdre. L’important est de donner envie de s’intéresser à cette femme, de découvrir sa vie plus profondément. Ca génère de la curiosité. Cela permet de mettre de la lumière sur un destin hors-normes et faire ressortir toute son humanité.
SLP_  Comment avez-vous pensé ce projet ?Â
A.P._ J’ai initié ce projet. Il s’agit d’un solo. Avec mon équipe, un consensus rapide s’est formé. Ce texte était incroyable. J’ai proposé à 3 comédiens de me diriger avec qui me connaissent très bien et avec qui je collabore. Ils ne se sont jamais trouvé ensemble sur les résidences. J’ai fait une semaine de recherche avec Nathanël Maïni, le collaborateur de tous mes spectacles, qui m’ a dirigé. Ensuite, j’ai travaillé avec Virginie Schell lors d’une semaine de résidence. Enfin, Olivier Barrère qui m’a également dirigé, est davantage universitaire, dramaturge. Chacun a ses spécificités. Nathanël est vraiment sur le jeu, Virginie vient de l’univers de la marionnette, très en phase avec la précision dramaturgique et également sur les objets et Olivier a rempli le sens à chaque fois. On a en commun avec Virginie d’aimer les mêmes femmes. Chez Hedy, ce qui était essentiel, était de faire ressurgir tout son humour. J’étais le lien entre tous. Tous les 3, sans vraiment se connaitre, sont arrivés à la même radicalité pour la mise en scène.
SLP_ De nos jours, que représente Hedy Lamarr ?
A.P._ Pour moi, être la plus belle femme du monde n’est pas un rêve. C’est un fardeau. Ce trait de caractère où je la trouve joueuse, me permet d’interpréter,  avec mon propre potentiel, la plus belle femme du monde. Cela me laisse de l’espace pour m’amuser. Elle est brillante car elle dispose d’une répartie incroyable.
Propos recueillis par Laurent Schteiner.Â