En aparté avec Monica Mojica

par | 20 Fév 2025

Metteuse en scène de Even elephants do it, actuellement au théâtre de la Reine Blanche, Monica Mojica rend hommage à Cécile Winter et nous plonge dans une période difficile et tragique, mais aussi porteuse d’espoir dans le combat contre le sida. À travers des fragments de vie, elle fait résonner l’humanité sur scène.

SLP_ Comment avez-vous eu l’idée de faire ce spectacle ?
Monica Mojica_
L’idée est venue subitement. Lorsque Cécile m’a confiée son témoignage, je l’ai pris parce que c’était un matériau très fort, porteur d’humanité et d’espoir. J’étais impressionnée par la façon dont elle parlait de cette époque où les médecins étaient aussi démunis que les patients. Cela a profondément transformé la relation soignant-patient. Son engagement et son combat contre la maladie m’ont marquée.

Au début, j’avais envisagé d’en faire un film car il y avait beaucoup de personnages. Puis, un jour, l’idée du théâtre radiophonique m’est apparue comme une évidence. J’ai compris que je pouvais en faire un dispositif scénique particulier, et tout s’est enchaîné ensuite.

SLP_ Pourquoi choisissez-vous cette forme de mise en scène ?
M.M._
La forme s’est imposée naturellement. J’avais 17 heures d’enregistrements de la voix de Cécile, ce qui a introduit une dimension documentaire dans la pièce. L’espace scénographique est parti du vide laissé par son absence, mais sa voix venait le remplir et l’habiter entièrement.

J’ai aussi voulu explorer le bruitage en live, une technique que j’affectionne depuis mon enfance en écoutant des feuilletons radiophoniques avec ma mère et ma grand-mère. J’ai donc combiné cette idée avec un paysage sonore travaillé comme pour le cinéma. Tout cela a donné un spectacle hybride mêlant documentaire, théâtre radiophonique, bruitage en direct et vidéo.

SLP_ Comment avez-vous construit le texte ?
M.M._ Le texte s’est construit à partir d’improvisations des comédiens. Cécile m’avait laissée des documents médicaux et des témoignages écrits de patients. Ces archives m’ont servi de base pour proposer des situations aux comédiens, qui ont improvisé à partir de ces histoires. J’ai ensuite réécrit ces improvisations avec Antoine Voituriez.

La plupart des personnages sont inspirés de personnes réelles, mais leurs noms ont été changés. J’ai aussi laissé une part à la fiction, notamment en créant des rapports humains imaginaires entre soignants et patients. Ce processus d’écriture a permis de rendre compte à la fois de la réalité de l’époque et de la dimension humaine et émotionnelle de ces relations.

SLP_ Pourquoi associez-vous les éléphants au sujet du sida ?
M.M._ Cela s’est fait de manière intuitive. Cécile disait souvent : « Même les éléphants le font », en référence à la façon dont ces animaux rendent hommage à leurs morts. L’un de ses patients était un immigré totalement isolé, et cela m’a marquée. J’ai alors eu l’idée d’accompagner sa voix par des images d’éléphants en noir et blanc, au ralenti.

Cette présence des éléphants crée une forme de méditation pour le spectateur, l’amenant à entrer dans un état de concentration où chaque mot de Cécile peut le traverser pleinement. Finalement, les éléphants portent le thème central de la pièce : l’humanité.

SLP_ Quelles difficultés avez-vous rencontrées lors de la création ?
M.M._ Le principal défi a été de permettre aux cinq comédiens d’interpréter plus de 44 personnages tout en conservant la vérité émotionnelle de chacun. Comme ils jouent devant un micro, sans bouger, ils doivent exprimer chaque émotion uniquement par leur voix et leurs vibrations corporelles.

Il a fallu travailler minutieusement la direction d’acteurs pour que chaque changement de personnage reste subtil mais perceptible. Je leur ai demandé de se connecter à leurs souvenirs, de laisser les émotions les traverser sans jamais transformer excessivement leur voix. C’était un travail complexe, mais essentiel pour la crédibilité du spectacle.

 

SLP_ Si vous deviez décrire ce spectacle en quelques mots, lesquels choisiriez-vous ?
M.M._ Espoir, lumière et force. La force des vulnérabilités et la beauté des différences.

SLP_ Avez-vous invité des patients atteints du sida à voir le spectacle ?
M.M._ Oui, certains sont venus. Ils ont été très émus, car aujourd’hui ils peuvent mener une vie normale grâce aux traitements, mais ils ne connaissaient pas toute l’histoire de cette lutte. Cela leur a permis de comprendre le combat des médecins et des soignants qui ont permis ces avancées.

SLP_ Y a-t-il une dimension politique dans votre pièce ?
M.M._ Elle est implicite. Ce qui m’intéresse avant tout, ce sont les âmes du public, l’humanité qui affleure dans les moments tragiques. La dimension sociale et politique est présente, mais elle n’est pas explicitement soulignée. Je préfère laisser place à l’émotion et à la réflexion personnelle du spectateur.

SLP_ Quand Cécile vous a raconté cette époque, qu’est-ce qui vous a le plus marqué ?
M.M._ J’ai été très émue par son engagement et sa vocation. Ce qui m’a touché, c’est qu’elle parlait de cette période tragique avec une incroyable humanité. Il y avait bien sûr de la douleur, mais aussi beaucoup de beauté, de joie et d’humour. Elle m’a raconté des instants de grâce, des moments d’espoir vécus par les patients, et j’ai voulu préserver cette tendresse dans la pièce.

SLP_ Le sida reste un sujet sensible. Pensez-vous que cela pourrait rebuter certains spectateurs ?
M.M._ Peut-être. Spontanément, moi-même, je ne serais pas forcément allée voir une pièce qui parle du sida. Ce sujet peut effrayer, car la maladie fait peur. Mais cette pièce, pour moi, transmet un message différent. Elle ne parle pas uniquement du sida, elle parle de la vie. Il y a de la lumière, de la tendresse, et même de la joie. Les mouvements chorégraphiques créent un rythme fluide, avec des entrées et sorties qui symbolisent justement ce cycle de la vie.

Propos recueillis par Xiaoyuan Wang.

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