En aparté avec ZHAO Miao

par | 16 Mar 2025

Depuis 1996, ZHAO Miao et la troupe San Tuo Qi qu’il dirige explorent et innovent constamment dans le domaine du théâtre physique. En tant que l’un des jeunes metteurs en scènes les plus influents de Chine, ZHAO Miao possède un style de création unique, alliant humour et poésie. À travers des éléments tels que le corps, la danse, les masques et les cultures locales, il a réalisé de nombreuses Å“uvres, laissant à chaque fois une empreinte orientale au Festival d’Avignon. Son dernier spectacle, Mère Courage et ses trois enfants en fait partie.

SLP_ Dans la mise en scène des spectacles de la troupe, vous utilisez beaucoup les mouvements corporels, le masque et les folkloriques régionales. Pourquoi avez-vous cette préférence sur des éléments  lors de votre créations ?
ZHAO Miao_
 En effet, en plus des éléments mentionnés ci-dessus, nous aimons beaucoup intégrer la danse contemporaine. Celle-ci possède une approche très originale du mouvement corporel et crée un fort contraste avec l’opéra traditionnel, ce qui nous aide à explorer notre corps. L’opéra traditionnel propose une structure codifiée et un aspect rituel, tandis que la danse contemporaine met l’accent sur l’harmonie et la liberté du corps. Ces deux formes sont très importantes pour nous.

De plus, le masque, la marionnette et le rituel traditionnel sont également des éléments essentiels dans notre apprentissage. Leur fusion nous ouvre de nombreuses possibilités créatives. En particulier, lorsque nous ne trouvons pas d’inspiration dans une approche spécifique, nous explorons différents domaines pour les mélanger et innover.

SLP_ Pouvez-vous nous partager votre méthode de création ? Si nous prenons l’exemple de Mère Courage, comment transformez-vous une pièce parlée en une œuvre purement corporelle ?
Z.M._ Le texte ne nous fait pas peur. Le texte et le mouvement sont en réalité similaires : ils sont tous deux une représentation extérieure ayant un objectif très précis. Nous analysons les dialogues, les sous-entendus et les intentions de la scène, puis nous les transformons en langage corporel. C’est notre processus de création, et c’est ainsi que nous avons conçu Mère Courage.

Nous analysons les intentions et les objectifs de création paragraphe par paragraphe, ainsi que les motivations et les modes de mouvement des personnages principaux. Ensuite, nous les traduisons en langage corporel. C’est l’une de nos méthodes de création.

Après avoir construit une structure de performance sans paroles, nous la retravaillons et la modifions constamment afin de trouver les meilleures expressions possibles, jusqu’à obtenir une structure plus détaillée. Ensuite, nous invitons le chorégraphe et le scénographe à enrichir cette structure. Enfin, nous effectuons une dernière répétition d’ajustement afin d’assurer la cohérence et la complétude de la performance.

SLP_  Votre troupe a participé au Festival d’Avignon en 2012 pour la première fois. Comment avez-vous eu cette opportunité ?
Z.M._ C’est l’Association des dramaturges de Pékin qui a organisé le Beijing Fringe Festival. Ils nous ont contactés à la fin de l’année 2011, alors que nous jouions à Xiamen, et nous ont offert cette opportunité en nous demandant de choisir une histoire à interpréter.

Nous étions très intéressés par le théâtre de masque et avions d’abord envisagé de créer une comédie masquée italienne. Mais nous nous sommes vite rendu compte que notre connaissance de la Commedia dell’arte n’était pas encore suffisante. Nous avons donc tourné notre regard vers les masques orientaux et avons choisi ceux du Nuo Xi, un théâtre rituel régional riche et varié.

Nous avons commencé à analyser l’histoire du Nuo Xi ainsi que ses méthodes de performance. Certains de nos comédiens sont même partis sur le terrain, notamment à Handan, pour approfondir leurs recherches. Après le Nouvel An chinois 2012, nous avons entamé nos répétitions. C’est ainsi que nous avons participé pour la première fois au Festival d’Avignon.

SLP_  Cela fait maintenant 10 ans que vous participez au Festival d’Avignon. Pourquoi avez-vous une si grande affection pour ce festival ?Z.M._ Le Festival d’Avignon occupe une place majeure dans l’histoire du théâtre et des salles de spectacle que nous étudions : le Palais des Papes, le Théâtre des Halles, ainsi que de grands dramaturges comme Peter Brook, Pina Bausch, Tadashi Suzuki, etc. Tout cela m’a toujours fait rêver d’Avignon.

Lorsque je suis allé à Avignon pour la première fois, j’ai eu l’impression d’entrer dans une ville sacrée du théâtre. Même si je ne comprenais pas le français, avec le temps, j’ai peu à peu appris à connaître leur art de vivre et me suis même intégré à leur mode de vie.

À chaque séjour à Avignon, je vis comme les locaux : une bière à la main, au coin d’une rue, en train de discuter avec eux. Cet art de vivre m’a profondément marqué et attaché à cette ville.

 

SLP_  Comment ont-ils réagi à la création de San Tuo Qi ?
Z.M._ Il nous a fallu trois ans pour nous habituer au public européen. En 2012, nous avons donné une dizaine de représentations. Lors des deux premières séances, il y avait peu de public, puis nous avons commencé à afficher des posters et le public a progressivement augmenté. Grâce aux retours des spectateurs, nous avons pris conscience des points communs et des différences esthétiques.

À partir de ce moment-là, nous avons diversifié nos créations et avons délibérément cherché à les différencier. Le Festival d’Avignon est devenu une plateforme pour observer les réactions du public étranger. Les deux ou trois premières années ont été difficiles, mais la situation s’est progressivement améliorée.

De plus en plus de médias ont commencé à nous suivre. Par exemple, un journaliste de La Provence est venu voir nos spectacles chaque année et a écrit des critiques sur notre travail. Lorsqu’il a pris sa retraite en 2019, il est venu nous en informer personnellement, ce qui nous a beaucoup touchés.

SLP_ Pour les mêmes pièces, y a-t-il des différences entre les retours du public chinois et européen ?
Z.M._  Il y a une grande différence. Par exemple, pour Aquatic, les spectateurs étrangers ont réagi de manière assez directe. En Chine, nous avons l’impression qu’il a fallu environ cinq ans pour que le public commence vraiment à l’apprécier. L’évolution esthétique du public chinois est relativement plus lente. Nous pensons que les spectateurs chinois ont moins de choix, et leurs idées et notions artistiques sont plus monolithiques. et fermées.

En France, il existe une grande variété de spectacles vivants, et les réactions du public sont plus diversifiées. Certains spectateurs critiquent directement, d’autres applaudissent et crient bravo. Mais en Chine, il y a moins de diversité, moins d’ouverture, et une capacité d’appréciation esthétique plus limitée.

SLP_ Pendant les festivals d’Avignon, avez-vous rencontré des difficultés ? Ou avez-vous des souvenirs inoubliables à partager ?
Z.M._ Bien sûr, nous rencontrons des difficultés chaque année. Le plus grand défi est de réussir à persister à jouer tout en assurant la communication autour du spectacle. Nous avons deux identités pendant le festival : celle de comédien et celle de visiteur. En tant que visiteur, nous profitons du soleil ; en tant que comédiens, nous jouons et communiquons.

Au début, nous distributions des tracts comme des moines, car toutes les équipes françaises faisaient de même. Mais maintenant, nous préférons combiner les deux plaisirs. Chaque année, il y a des événements inoubliables, comme quelqu’un qui perd son sac, quelqu’un qui tombe, ou quelqu’un qui rate son train. Tous ces moments enrichissent notre expérience.

Mais ce qui reste le plus inoubliable, c’est notre mode de vie à Avignon. Nous jouons, fêtons, et buvons dans cette ville. Cette ambiance conviviale nous attire chaque année.

SLP_ Avez-vous des idées pour le Festival d’Avignon 2025 ?
Z.M._ Nous envisageons de lancer un nouveau projet. Le secret pour l’instant.

Propos recueillis par Xiaoyuan Wang.

Share This