En aparté : Claude Bonin, metteur en scène de « Islande, entre ciel et texte »
Après la lettre à Helga de Bergsveinn Birgisson mis en scène en 2018, Claude Bonin nous revient avec un spectacle à escale, en terre islandaise. Dans un parfum de contes, il feuillette en notre compagnie des extraits de grands auteurs islandais qui nous feront voyager aux sonorités enchanteresses. Découvrez notre entretien avec cet artiste qui nous prodigue un voyage au long cours.Â
Laurent Schteiner : Après la lettre à Helga de Bergsveinn Birgisson, vous poursuivez votre voyage en Islande avec des auteurs tels Jon Kalman Stefansson, Sjon, et Kristin Maria Baldursdottir. Quelle est cette appétence pour la littérature islandaise ?
Claude Bonin_ Au départ et c’est l’ A.D.N de la compagnie. Ce qui détermine notre création, c’est avant tout la qualité d’un texte. Ensuite on s’interroge sur comment le mettre en scène et quelle théâtralité choisir. Effectivement en 2017, 2018, nous découvrons la Lettre Helga de Bergsveinn Birgisson. Un roman que nous apprécions fortement. Aussi nous alors décidons de le mettre en scène. Et comme à cette époque, la littérature islandaise n’est principalement connu que par les romans policiers, et non la littérature épique, nous nous sommes dits que ce serait  intéressant qu’en amont de la création au Théâtre de l’Épée de Bois, on donne à entendre d’autres textes islandais afin que le public  puisse découvrir  combien le registre de la littérature islandais est plus riche et vaste. Bénédicte Jacquard qui est, notre comédienne, a réalisé l’adaptation des textes que vous avez cités.
L.S_ : A votre avis, la littérature islandaise est-elle uniquement mis en scène par votre compagnie Le château de fables ?
C.B._ Oui, j’ai vu qu’en province quelqu’un travaillait également sur des contes islandais. Mais il est vrai que nous sommes les seuls. Les Editions Zulma nous ont bien aidé. Pour mémoire, elles ont été les premières à  publier Audur Ava Ólafsdottir. Ce sont les mêmes qui ont publié La Lettre à Helga. Il est fabuleux de constater que ce tout petit pays qui compte 350 000 habitants dispose d’un nombre d’auteurs absolument fantastiques. Dès lors, il nous semblait évident de dévoiler et de faire découvrir une telle floraison d’auteurs islandais.
Xiaoyuan Wang_ Comment avez-vous opéré le choix des textes ?
C.B._ Bénédicte Jacquard a lu un nombre incalculable de romans dont le plus connu, Halldór Laxness (Prix Nobel de la littérature avec un roman qui s’appelle La cloche d’Islande). Il a été écrit en 1944 à l’époque où l’Islande est en train de négocier son indépendance avec le Danemark. Bénédicte Jacquard a étudié les auteurs jusqu’à nos jours. Elle a arrêté son choix sur Jon Kalman Stefansson, Kristin Marja Baldursdottir, et de Sjon qui sont peut-être les plus saillants en termes de littérature.
L.S_ Dans vos créations théâtrales, vous appliquez souvent la forme nomade ou d’escale. Pourquoi favorisez-vous cette forme de création ? Quelle en est sa spécificité ?
C.B._ Parce qu’on s’est dit, à la base, que la création Islande entre Ciel et Texte, se ferait en 4 escales ou 4 lectures mises en musique. Les lectures-spectacles ne rendent pas toujours compte de l’idée du voyage. L’Escale correspondait pleinement à notre idée. Un peu comme Ulysse, on découvre l’histoire par la mer. Il ne faut pas oublier que nous nous trouvons sur une île et que les rivages nous intéressent davantage à cause de leurs reliefs.
X.W._ Quel est le point commun parmi ces 4 escales ? Et quelles sont les différences les plus grandes ? Comment trouvez-vous une harmonie pour unifier ces 4 escales ?
C.B._ Il y a 4 escales. Trois d’entre elles constituent une immersion. Ce qui lie ces trois auteurs est le choix historique effectué par Bénédicte : Sjon en 1860, Jon Kalman Stefansson de Charnière de la fin du XIXe au XXe, et Karitas de Kristin Marja Baldursdottir en 1914. Une chose importante est à évoquer : on ne révèle pas l’ensemble de l’histoire, on ne prend qu’un passage pour inviter l’auditeur, le spectateur à lire les livres par la suite. Ainsi Entre Ciel et Terre de Jon Kalman Stefansson est un triptyque, et Karitas un diptyque. L’occasion est de découvrir l’ensemble de la vie de Karitas ; dans cette escale, il ne sera question que de sa plus tendre enfance jusqu’à ses 14 ans. On se situe dans le même intervalle pour Jon Kalman Stefansson. Il s’agit de cette période charnière où l’Islande est considérée comme un pays très pauvre.
X.W._ Dans votre spectacle, vous présentez pleins d’éléments très significatifs de l’Islande, tels que la mer, la pêche, la nuit, l’hiver, la glace… Comment traduisez-vous ces éléments familiers dans une dimension spécifique ?
C.B._ Je dirais qu’il est quasi impossible de parler l’Islande sans passer par ses éléments naturels. Je vois qu’actuellement un volcan vient de se réveiller depuis une semaine, et qu’une ville entière vient d’être évacuée. Il faut bien considérer que l’Islande repose pour moitié sur la plaque américaine et pour moitié sur la plaque européenne qui s’en écarte. Il s’agit d’un aspect fondamental de la vie en Islande. Bergsveinn Birgisson en parle très bien, notamment à travers les champs magnétiques qui où ces terres étaient peuplées par des êtres dits cachés (Trolls). Ainsi, lorsqu’on construit une route, on créée un contournement à cause de ces croyances auxquelles tout le monde adhère. C’est génial ! Il existe dans ce pays une telle poésie que depuis le XIIIe siècle, on ne cesse de pratiquer l’art du conte qui est constitutif de ce peuple. Cette île était déserte jusqu’au XIIIe siècle. Et puis, elle s’est soudainement peuplée avec un mélange d’irlandais, de norvégiens et de danois.
L.S_ Quel est l’apport de la création musicale dans ce spectacle ? Quels sont les instruments utilisés ?
C.B._ Pourquoi l’apport de la musique ? Bien souvent pour être auteur, romancier en Islande, il faut souvent avoir publié un recueil de poèmes. La poésie, à travers les films islandais, est récurrente. Le film Béliers de GrÃmur Hákonarson sorti en 2015 traite de la maladie chez des animaux qu’il faut tuer. Lors du concours du plus beau bélier au Bélier, le commissaire commence par un poème. A Noël, il est de tradition que l’on s’offre un poème. Cela veut dire que la poésie est une matière vivante. Qui dit poésies dit musicalités. Ainsi, Nous nous sommes dits que nous allions travailler sur ces textes en accord avec des musicalités. L’idée étant que le spectateur soit embarqué. On dit que ce spectacle peut s’apprécier les yeux fermés. Ainsi un non-voyant peut venir. Il ne perdra rien. L’expérience est la même au concert. L’idée est de voyager, et la musique est un support fantastique pour le voyage. Après, en ce qui concerne plus précisément les instruments, je voulais travailler avec Christine Kotschi, parce que ça fait un moment que je suis son travail. Je désirai travailler avec elle parce que Christine est une compositrice instrumentiste, qui, depuis très longtemps, voyage dans le monde entier et rapporte des instruments d’Asie, d’Afrique, d’Amérique du sud ou encore d’Europe. Partout où elle s’est rendue, elle s’est intéressée aux instruments qui étaient sur place et les sonorités qu’ils donnaient. Nous ne voulions pas verser dans le folklore avec des instruments de l’époque médiévale, qui renvoient à la musique à corde, vielle etc. Nous nous sommes servis des instruments comme le Reckchek, un violon persan, ou le sansula, adapté de la kalimba africaine, Christine travaille pour les percussions avec des bols tibétains. Parfois pour dire une chose, il faut s’en éloigner. Il est bon de prendre de la distance. C’est ce paradoxe musical qui est intéressant et très parlant.
L.S._ Comment ces textes mettent en valeur l’âme islandaise et son identité (poésie, culture ancestrale) ?
C.B._ Justement, à cette époque charnière fin du XIXème siècle début du XXème, il s’agit d’un peuple constitué essentiellement d’agriculteurs et de pêcheurs qui vivent dans des conditions précaires. Ils vivent pour la plupart dans des maisons en tourbe, sans fenêtres et ne s’éclairant qu’à la lumière des bougies. La fenêtre constituant la modernité, l’ouverture à la lumière. Jon Kalman Stefanson le décrit bien dans Entre ciel et terre. La dureté des conditions de vie se traduit par un faible niveau de vie. Une pêche représente un revenu énorme. Face aux aléas de la vie, les islandais ont cette formidable puissance de volonté qui renverse les montagnes.
X.W._ Parlez-nous de la scénographie et du choix des comédiens narrateurs ?
C.B._ La scénographie est amusante du fait que Bénédicte m’a annoncé vouloir lire les textes en hauteur. C’est pour cela qu’on a appelé le spectacle Islande entre ciel et texte. Elle se situe entre le ciel et la terre. Elle est quelque part entre les deux. C’est pour cela que la scénographie comporte des livres qui pendent, comme si dans l’imaginaire, ils étaient en suspension. Ce qui est un peu la condition quand tu es ilien, on se situe entre le ciel et la mer. Et puis au sol, il y a tous les éléments qu’on l’appelle l’instrumentarium, c’est-à -dire tous les éléments de musique disposés. La mobilité est représentée par Christine, la musicienne et compositrice qui l’amène. Après, le choix a été opéré entre Bénédicte et moi-même. Nous travaillons ensemble depuis longtemps. La compagnie, c’est elle et moi d’une part et c’est elle qui a réalisé tous ces travaux de lectures et de choix d’adaptation d’autre part. Et elle était la plus à même d’en être la lectrice. Et puis, Christine apporte cet univers particulier avec ses instruments à corde, avec ses percussions. Ce que j’aimais dans sa proposition est cette sorte de panthéon de la musique.
L.S._ Vous avez déjà joué ce spectacle. Quelles ont été les réactions du public ?
C.B._ Ce qui était très beau, je ne me souviens plus de quelle date, au terme de la deuxième escale, il y a eu un immense silence où personne ne partait. Les gens sont restés comme dans une sorte de rêverie. Il y avait quelque chose de paisible qui correspondait un peu à cette notion qu’on éprouve au terme d’une escale d’un voyage. Nous sommes partis et on a voyagé tous ensemble. Et une fois arrivés de nouveau à terre, on ressent le roulis quand on marche. Quelque chose s’est produit !
X.W._ Quelle est, selon vous, la modernité de ces textes qui rendent compte de la misère des pêcheurs, et plus généralement d’une vie islandaise marquée par la pauvreté ?
C.B._ Je pense qu’au jour d’aujourd’hui, nous avons besoin de grands textes, de grandes histoires. On a besoin de gens qui marchent dans la neige avec un but en tête sans être sûr d’y arriver mais qui néanmoins le tentent. On a besoin de cette sorte d’humain qui se tienne sur ses deux jambes, et qui essaie d’avancer malgré tout. C’est ça qui est important. Par exemple, quand on prend Entre ciel et terre de Jon Kalman Stefasson, le gamin, qui a 16 ans, dont on ne connaitra jamais son nom, s’embarque pour la première fois en pleine nuit à 4 heures du matin sur une barque composée de 6 rameurs. Il va partir pour la pêche à la morue. On l’imagine dans une toute petite barque de rien du tout au milieu de millions de cubes d’eau, dans le noir du noir, et comment ne pas mourir ? Et c’est d’ailleurs ce qui va se produire ! Je crois qu’on a besoin d’une histoire comme celle-là pour nous rappeler notre humanité.
L.S._ Si vous pouviez qualifier votre spectacle d’un mot … ?
C.B._ Je dirais que les hommes doivent être abordés par les rivages. C’est comme Ulysse, il arrive sur une île qu’il découvre et où se déroulent des évènements. Il faut juste essayer de les comprendre. Et nous, en arrivant en Islande, non pas par avion mais par bateau nous découvrons l’île par ses ports, ses reliefs, ses côtes, et par ses fiords. C’est peut-être c’est une bonne façon d’envisager un pays ! Récemment j’étais au Pérou, j’ai visité Lima avec une poussette dans laquelle se trouvait mon petit-fils car il s’était blessé auparavant. J’ai marché près de 13 km par jour. J’ai ainsi pu pu découvrir la capitale du Pérou. Cette solution était la plus adaptée à la découverte bien plus qu’un quelconque voyage en bus, en tram…C’était juste génial ! Je crois que Peter Handke (Par les villages) a dit : « les montagnes ne doivent être gravies qu’en promenade. » Il ne faut pas lutter contre la montagne, il ne faut pas la gravir ou vouloir être plus fort qu’elle.
L.S._ Finalement tu fais œuvre de partage et de pédagogie.
C.B._ C’est assez fou, lorsqu’on a créé La lettre à Helga, nous avions interrogé les Editions Zulma si nous pouvions vendre le livre. Avec leur accord, on en a vendu beaucoup. En revanche, quand on s’adresse aux Editions Gallimard pour vendre Entre ciel et terre (qui date de 2013 !), ces dernières n’en voient pas l’utilité. ll convient de noter pour des raisons qui m’échappent encore que chacun court dans son couloir ! Autre exemple, j’ai travaillé dans des Balkans, et de la même manière, j’avais essayé de ramener la littérature balkanique. J’avais rapporté avec moi, à chaque fois, des littératures très peu éditées, très peu connues. Notre credo est de ne pas dévoiler toute l’œuvre. Il s’agit seulement d’une amorce.
X.W._ Où va se jouer ce spectacle ?
C.B._ Au théâtre de l’épée de bois, à la cartoucherie entre le 23 novembre et le 3 décembre, les jeudis, vendredis, samedis et dimanches. Chaque jour, il y a deux escales, chaque escale dure une heure environ.
Propos recueillis par Xiaoyuan Wang et Laurent Schteiner