En aparté : Eva Rami
Suite au spectacle truculent qu’Eva Rami nous a présenté au Théâtre Lepic, nous voulions nous entretenir avec cette artiste qui soulève de brûlantes thématiques avec humour et finesse. Un spectacle à découvrir de toute urgence dans ce même lieu jusqu’à la fin de l’année.Â
SLP_ Comment vous est venue l’idée de mettre en scène cette problématique de l’enfermement des femmes ?
Eva Rami_ Cela a commencé pendant le confinement. J’étais enfermée avec un oiseau dans un espace sans fenêtres dans une ancienne agence immobilière. J’avais un peu l’allégorie de la liberté devant moi car j’habitais dans cet appartement avec cet oiseau. Nous étions dans la même cage. J’avais cette métaphore au quotidien.
Par ailleurs, je pense être d’une génération post-Metoo qui m’a donné la force de parler de certains sujets.
SLP_ La métaphore de l’oiseau revient à ouvrir une boite de pandore libérant des sujets brûlants que vous évoquez dans votre spectacle (l’emprise, le viol, l’inceste…) Est-ce que cela s’est imposé à vous immédiatement ?Â
E.R._ Le chemin est très long. Au début ce n’était pas la thématique du spectacle. On était partis à brouiller des pistes de projection. J’étais plutôt dans quelque chose de l’ordre de l’absurde, à partir d’un film que j’avais beaucoup aimé, l’auteur, où dans une fin du monde le héros était parti en symbiote avec un oiseau. Dans un monde pollué, ceux qui le décident peuvent réaliser une symbiote avec un animal. J’étais partie davantage sur un conte. A la sortie du confinement, la vie reprenait son cours. Le mouvement Metoo n’était pas loin et un long chemin de thérapies me permettaient désormais d’aborder certaines problématiques. Ce qui était important pour moi était de parler également d’amour, d’amitié, de sororité, d’émancipation… L’émancipation pour moi est importante car je parle dans mes 3 spectacles de transmission transgénérationnelle, cet héritage névrotique qui se perpétue de génération en génération au sein d’une même famille. Ici, en l’occurrence de femme en femme. Qu’est ce qu’on fait de cet héritage-là ? Ce spectacle me permettait de casser une chaine, celle du silence et de certains tabous (inceste et viol)
SLP_ Ce spectacle est-il le fruit d’une expérience personnelle ou de témoignages rapportés ou au contraire s’agit-il d’une fiction ?Â
E.R._ Tout cela à la fois. J’aime bien parler d’autofiction. Tout ce qui est dans ce spectacle est vrai. Soit cela m’est arrivé ou à des femmes de mon entourage, amies, famille…Ensuite tout est redistribué. Il y a des choses qui me sont arrivées et que j’ai redistribuées dans la bouche d’autres personnages pour des questions dramaturgiques et de cohérence. Et enfin fictionnaliser tout cela pour que cela soit intéressant. Parler à l’universel tout en me protégeant.
SLP_ Pensez-vous que le rire alimente une prise de conscience ?Â
E.R._ Oui ! il s’agit d’une arme redoutable. Il m’aide à me sentir bien ainsi que les spectateurs pour délivrer un message plus profond. « C’est dans mes blagues que je suis le plus profond ! » (Olivier Py). Je pense qu’il faut voyager entre le drôle et le poétique. Le rire étant quelque chose de très rassurant. Je sais que si les spectateurs ne rient pas, cela ne veut pas dire qu’ils s’ennuient.
SLP_ Sur des sujets aussi brûlants, comment arrive-t-on à faire rire ?
E.R._ C’est pour moi imaginer des endroits où je me fais plaisir. Après… que le rire se déclenche, cela relève pour moi de la magie. C’est bouleversant. Il s’agit d’un pari que l’on fait.
copyright : Valentin Perrin
SLP_ Votre spectacle relève d’une performance incroyable. Voua avez une énergie folle. Comment se prépare-t-on physiquement ?Â
E.R._ Petite, j’ai fait du tennis de compétition jusqu’à 13-14 ans. C’était un sport familial. J’ai toujours eu cette condition physique car j’ai toujours fait de la gym ou toujours couru…Mais par ailleurs, j’aime bien manger, picoler ou faire la fête. Je sais être un cheval de course quand les circonstances l’exigent. Je ne bois pas, je fais attention à mon alimentation, je fais un peu de cardio et du yoga. Il faut vraiment une hygiène de vie. Sur scène, j’ai été aidée par une esthétique du mouvement. Ce processus a été mis en place par une coach de danse Audrey Vallarino . Je travaille ce mouvement comme une chorégraphie. Je passe d’un personnage à l’autre jusqu’au moment où je trouve la fluidité entre les 2 personnages. C’est de l’acharnement. De la répétition !
SLP_ Pour ce 3e spectacle, après Vole, Tais-toi, vous vous êtes séparée de Marc Ernotte. Pourquoi ?Â
E.R._ Je savais précisément ce que je voulais. Je voulais me faire confiance. Et j’ai toujours des regards extérieurs ; notamment Emmanuel Besnault et Alice Carré.
SLP_ Si vous pouviez d’un mot ou d’une couleur à qualifier votre spectacle ?Â
E.R._ Oh c’est difficile ! Mis je dirai Liberté. Pour la couleur je pensais à du rouge car c’est la passion, la souffrance, le sang parce que c’est vivre, ça brûle, parce que c’est l’amour… ..
SLP_ des projets d’écriture ?
E.R._ J’ai envie d’écrire pour de l’audiovisuel. Par ailleurs, j’ai envie de chanter également. Mais je ne suis pas à l’abri de repartir sur un autre spectacle. Enfin, il n’est pas exclu que j’écrive pour les autres.
Avec ce 3e spectacle, j’ai eu la sensation de boucle, d’être arrivé à quelque chose mais je n’écarte aucune autre possibilité.
SLP_ Où va votre préférence de l’écriture ou de l’interprétation ?
E.R._ Aujourd’hui, je dirai l’interprétation mais j’aime énormément l’écriture. Ce dernier moyen d’expression est vital. Peut-être que cet équilibre ne sera plus le même à un autre moment de ma vie. J’écrirais davantage en ayant probablement envie de moins jouer. Interpréter requiert beaucoup de ressources personnelles lorsque l’on rencontre de graves problèmes dans notre entourage (la maladie, la mort de proches…). Concernant l’écriture, peu importe l’état d’esprit. Mettre des mots sur les maux, il y a quelque chose de l’ordre de la catharsis.
Propos recueillis par Laurent Schteiner