En aparté : Laura Elko
Laura Elko, comédienne, chanteuse et ventriloque nous revient avec un 2e one woman show Enfin vieille ! Cette artiste complète a participé récemment au Phénix Festival et au Festival d’Avignon avec Je m’appelle Adèle Bloom de Franck Harscouët. Cette incursion dans un registre dramatique fait montre de l’étendue de son talent. On peut retrouver la chanteuse au Lapin Agile à Paris durant l’année.Â
Que représente pour vous le festival Humour et eau salée ?
Il est vrai que je ne connais pas particulièrement ce festival mais j’aime toujours tourner en festival. J’ai été accueilli très chaleureusement grâce aux équipes de bénévoles qui ont beaucoup préparé ce festival.. Auparavant je tournais avec Monsieur Max Productions. Et ils ont appris que la thématique de ce festival était marionnettes et trucs bizarres. Denis Lecat cherchait un spectacle de plus et c’est ainsi que je me retrouve à St Georges de Didonne.
On a une idée comment on devient comédien(ne) ou chanteur(euse) mais ventriloque !? Comment arrive-t-on à la ventriloquie ?Â
La toute première fois que j’ai fait un spectacle, j’étais en duo avec une partenaire. On a tourné pendant un certain temps. Nous avions eu d’ailleurs le Petit Molière du meilleur spectacle musical. Je voulais continuer mais ma partenaire voulait arrêter. Je perdais ma partenaire. On ne décide pas de retrouver un partenaire. Et si je devais retrouver un partenaire, je vivrais peut-être la mime chose. En revanche, si je devenais ventriloque, j’aurais un partenaire qui ne pourrait plus jamais me quitter. (rires). On pourrait s’engueuler sans jamais partir. J’avais un peu peur du seul en scène et je me suis rappelée l’objet transitionnel de Winnicott.
Mais comment devient-on ventriloque ?
Le travail de la marionnette est bien sur très important. Faire vivre la marionnette. Ne pas être figée quand la marionnette parle. Mais l’aspect essentiel est de ne pas bouger les lèvres. C’st assez simple : il faut parler sans utiliser les parties visibles (lèvres et mâchoires). Pour l’essentiel des phonèmes, on n’en a pas besoin car les consonnes se prononcent avec la langue. Quant aux voyelles, on peut se débrouiller avec la langue avec une bouche entrouverte. Après ce qu’on appelle la proprioception  chez les orthophonistes : à savoir que l’on a le réflexe de bouger la mâchoire mais on n’en pas vraiment besoin pour le prononcer sauf pour certaines lettres labiales m, b, p, f, v. Il est totalement impossible de les prononcer sans les lèvres. Ce que font les ventriloques est basé sur la linguistique : ce qui compte n’est pas le son en lui-même mais un son en tant que différent des autres. Le cerveau a besoin pour comprendre que chaque consonne soit bien distincte des autres. Ainsi quand une personne a un accent, qui roule les r par exemple; le cerveau reconstitue le son (un r roulé ou le r marseillais) Les ventriloques inventent des consonnes qui n’existent pas mais du moment qu’elles sont différentes des autres, le cerveau ne se pose pas la question. Toutes les marionnettes de ventriloque ont un accent et chaque ventriloque y créé sa propre tambouille.
On vous avait découvert en 2021 au Phénix Festival dans « Ah vous dirai-je maman » sur la thématique du devenir mère. Cette année vous revenez avec un spectacle que vous avez peaufiné et qui existait déjà « Enfin vieille ! » Ces spectacles sont-ils pour vous une manière d’exorciser les principales étapes d’une vie de femme ? Se tourner résolument vers son avenir ?
Oui ça permet de voir plus loin que le bout de son nez, c’est à dire le bout de ma marionnette qui est beaucoup plus en avance que moi (ires). J’exprime des angoisses qui j’espère sont simples et singulières et complètement collectives. Quelles seraient mes angoisses si j’avais un enfant ? Faire un saut générationnel implique qu’on est tous face à une angoisse. Ensuite, c’est le rapport avec ma marionnette, cette espèce de petite voix qu’on a tous en nous et que souvent on n’écoute pas car cela va à l’encontre de ce qui attendu de nous. L’intime prenant le pouvoir sur l’injonction collective.
Quelle est la thématique de Enfin vieille ?
Il s’agit de la peur de l’échec dans la vie couplée avec l’âge qu’on a. Pour un certain nombre de personnes, il y a des choses à réussir comme l’école par exemple…Il y a comme un attendu collectif : à quel âge on doit avoir un métier ou construire sa vie avec quelqu’un, enfin avoir des enfants ? .Si on ne suit pas ce parcours dans les temps, cela génère une angoisse car des comparaisons sont faites avec les gens de notre âge. La marionnette, dans ce spectacle, est le doudou de cette jeune fille qui débarque pour lui dire quel adulte elle est en train de devenir. Il y a aussi la voix de la grand-mère. Ces deux voix permettent de voir ce que l’on est : l’adulte et le doudou. Un peu comme si on pouvait dialoguer avec soi-même à différents âges.
Quelle est la part d’autobiographie dans ce spectacle ?
Oui mais quand on fait du seul en scène, elle est forcément romancée. Il est toujours intéressant de pousser certains curseurs. A partir d’un élément de situation vécu, on va faire dire quelque chose à un personnage fictif d’une situation survenue dans une autre circonstance parce que ce sera plus théâtral. Ainsi Lise de la Salle est vraiment une pianiste que j’ai rencontrée lors d’un concours, ma grand-mère était vraiment hongroise mais pas chanteuse
Quel regard Trinidad a apporté à la mise en scène ?
Tout d’abord au niveau de l’écriture où elle m’a beaucoup guidé. Elle m’a proposé d’être aussi présente que la marionnette ou que les autres personnages de l’histoire. Elle a été la sage-femme de ma marionnette. Celle-ci est devenue plus subtile. Il y avait clairement une parenté avec elle car dans tous les spectacles de Trinidad, il y a de la musique. Et ici aussi. Dans ses spectacles, il y a toujours des questions de ce qu’on hérite de sa famille et ce qu’on va pouvoir fabriquer avec son héritage familial.
Cette année, on vous a retrouvé dans un tout autre registre, celui-là dramatique dans une pièce de Franck Harscouët, Je m’appelle Adèle Bloom, avec Armelle Deutsch, Sophie-Anne Lescene et Philippe d’Avilla. Un spectacle qui a connu un beau succès à Paris lors du Phénix Festival et à Avignon. Vous incarniez Rosemarie Kennedy, qui collée à sa marionnette, exprimait ainsi ses états d’âme. Comment avez-vous appréhendez ce rôle ?
C’était génial de jouer avec une équipe ! Il s’agit d’un personnage qui s’exprime à travers une marionnette muette. Il y a eu un travail qui s’est affiné petit à petit sur la présence de la marionnette. La marionnette a été créée à mon image, à partir de mes photos. C’est vraiment un double. Avignon a permis que cette marionnette prenne de plus en pus de place au plateau et qu’elle dispose d’une présence de plus en plus inquiétante. J’essaye d’être présente en ne faisant quasiment rien, étant coupée des émotions. Et la marionnette, petit à petit prend plus de vie mais elle a une tête qui fait peur par elle-même. Avoir l’objet inanimé qui s’anime et la personne vivante qui se désanime est un contraste très intéressant.
Justement où a été créée cette marionnette ?
En République Tchèque. Franck s’est adressé à des marionnettistes qui font des marionnettes en bois. Ce qui est assez rare maintenant. Ils ont travaillé à partir de photos. Sur Adèle Bloom, il y avait du piano. Dans mes spectacles de seul en scène, je ne joue pas de piano. C’est la seule chose que j’ai apprise et dont je ne me sers pas dans mes spectacles. A l’inverse sur Adèle Bloom, je ne parle pas mais je joue du piano (rires). Je parle tout de même car il y certains poèmes qui sont dits avec la marionnette. Et lorsqu’on est musicien au plateau, cela permet une écoute qui est très intéressante. Comme je suis au piano et que les personnages parlent souvent, cela génère une écoute commune qui leur permette de prendre davantage d’élan ou au contraire à faire bien attention à leur laisser bien la place et bien en accompagnement. C’est assez musical.
Est-ce à dire que vos marionnettes ne vous quittent désormais plus ou bien vous vous sentez tout de même libre de chanter et de jouer indépendamment ?
Oui parce que je suis chanteuse au Lapin Agile. Ca m’arrive car dans mon seul en scène Ah vous dirai-je maman, je commence sans ma marionnette. Elle arrive au bout d’un certain temps. Je me souviens m’être interrogée « pourquoi je débarque sans elle ?!  » Sinon, lorsque je joue Laura dans Enfin vieille ! qui est un personnage fictif mais qui reste moi quand même, j’ai ma marionnette avec moi. Je tiens à ajouter qu’avec les marionnettes, on les adopte petit à petit grâce au regard du public. Ma marionnette commence à prendre vie dans ma tête, indépendamment de moi. Je me rends compte que j’ai beaucoup de mal à la laisser au théâtre, je la ramène chez moi. Et j’ai également du mal à la laisser dans une position non humaine, c’est à dire, en boule. La marionnette, fabriquée pour Je m’appelle Adèle Bloom, est une marionnette différente, constituée en bois, avec des articulations. Au tout début, je me suis dit, je la pose en coulisses en faisant attention à l’objet et non à la personne qu’elle serait. Et peu à peu, je trouve très difficile de la laisser si, par exemple, elle a la tête trop tournée ou en boule. Cela finit par prendre corps par soi-même. (Rires)
Qu’est-ce qui vous inspire dans la vie : nos petits travers, l’état du monde, vos angoisses, vos craintes ?
C’est comme une mission qu’on aurait de fabriquer de la légèreté à partir de ce qui est trop dur et qui continue à faire sens . Déjà le fait qu’on va tous mourir, c’est horrible ! (Rires) Même si ça se passe bien jusqu’à là .
A mesure que votre notoriété s’accroit, ressentez-vous davantage une forme de pression ou de demande plus forte pour de nouveaux projets ?
Si oui, en êtes-vous étonnée ?
Ecrire un 2e solo s’est avéré davantage un questionnement que le premier. Dans ce premier solo, je ne me suis pas dit « cela va être mon métier ». Ca l’est devenu lorsque j’ai travaillé la ventriloquie, je ne me suis pas dit : « je vais être ventriloque ». J’ai observé que ma marionnette avait quelque part sa propre vie et je me suis prise au jeu. Au 2e solo, ce fut différent. Quand j’ai commencé à travailler, j’ai pris un nom qui n’était pas le mien. Ainsi pour moi, on ne pouvait pas me trouver ou ce que je fabrique à moins que je ne leur raconte. Et maintenant, on me connait sous ce nom et ca ne marche plus ! Je dois tout assumer !
Et vos projets pour la rentrée ?
Je vais travailler autour des pièces de Molière en partenariat avec un théâtre et un collège. Il s’agit d’un projet d’écriture qui inclurait des extraits de Molière. J’estime que la découverte de Molière à l’école, dans sa compréhension, n’est pas toujours accessible à tous. J’ai la sensation qu’à travers toutes ces pièces de Molière, il existe une défense très forte de l’adolescence. Les personnages ridicules et sclérosés sont les parents et les personnages inventifs sont ces adolescents qui représentent une force de vie et de création. Je trouve qu’il est dommage quand on l’âge de ces personnages de ne pas voir cet espace de liberté dont ils disposent et dont on a tous besoin collectivement.
Propos recueillis par Laurent Schteiner