En aparté : Natalie Dessay
Natalie Dessay nous a livré un très bel entretien en revenant brièvement sur sa carrière de soprano, mais surtout en abordant ses nombreux projets théâtraux, de comédie musicale et de musique.
A un certain moment de votre carrière de soprano, vous avez dû faire des choix professionnels cornéliens dictés par la santé et la raison.
Natalie Dessay _ Non, pas cornéliens du tout ! J’avais décidé dès l’âge de 20 ans qu’autour de 50 ans j’arrêterais de chanter. Une décision prise alors même que je n’avais pas commencé à chanter. Il se trouve que j’étais contente de le faire à l’âge de 48 ans plutôt qu’à l’âge de 50.
Vous vous êtes réorientée vers la chanson et le théâtre. Peut-on dire qu’avec le théâtre vous êtes revenue à votre formation originelle ?
N.D. _ Oui ! Parce que j’ai commencé par ça quand j’avais entre 18 et 20 ans au conservatoire de Bordeaux. J’étais d’abord en classe de théâtre avant d’intégrer la classe de chant.
Était-ce pour vous la possibilité d’appréhender des rôles plus complexes que ne permettent pas forcément les opéras ?
N.D. _ A l’époque je n’en savais rien mais l’idée était de travailler avec les mots. A l’opéra, c’est complètement différent car on est davantage dans la production de sons. Il s’agit d’un travail extrêmement intéressant mais on va moins dans les mots qu’au théâtre car notre marge de manÅ“uvre est beaucoup moins grande. Il faut noter que la musique crée le sous-texte quoiqu’il arrive. On est de fait limités mais également par sa voix. Moi, j’avais une voix aigüe et cristalline. Donc j’étais abonnée aux rôles de jeunes premières ou aux soubrettes principalement.
Mais il y a tout de même une part d’interprétation dans les opéras…
N.D. _ Bien sûr ! Et je m’en suis donnée à coeur joie mais disons, qu’au bout de 23 ans je trouvais que j’avais fait le tour et que j’avais atteint des limites dans le jeu.
De facto, vous n’avez pas regretter le théâtre ?!
N.D. _ Non parce que l’aspect technique prend tellement d’énergie et de temps qu’on n’a pas le temps de se poser ce genre de question. C’était une autre expérience. Mais autant à l’opéra, on est dans un geste athlétique autant au théâtre, il s’agit de tout autre chose.
Justement, que représente le théâtre à vos yeux ?
N.D. _ On est beaucoup plus avec les mots et avec la langue de l’auteur. Moi, c’est ça qui me plait. La marge de manÅ“uvre est beaucoup plus grande puisqu’il y a des milliards de possibilités d’interpréter un rôle. De plus, ce qui me tient à cÅ“ur est de jouer dans ma langue car il y a un imaginaire qui peut ainsi se développer. On peut arguer en disant qu’il peut y avoir une autre forme de liberté qui peut se produire quand on joue dans une langue qui n’est pas la nôtre. Ce qui m’importait était de travailler dans ma langue te la littérature. Pas seulement car dans Echo par exemple même si Vanasay est une dramaturge, une autrice géniale, on ne travaille pas la langue en premier. On est davantage dans des états et dans quelque chose qui sert un autre propos d’une autre façon. Mais ça, c’est à part. Actuellement je travaille sur un second texte de Marie Ndiaye, (j’avais joué Hilda l’année dernière), Un pâle chat sauvage, je me confronte à une façon très particulière qu’a une autrice, comme elle, de s’exprimer.
Vous avez joué entre autres Und, la Légende d’une vie, Hilda, Echo, des pièces radicalement différentes à la dramaturgie puissante et profonde.Â
N.D. _ Und était aussi une écriture, une merveilleuse traduction de Vanasay.
Peut-on dire un mot sur Echo, un spectacle remarquable ?
N.D. _ Echo est un univers. Vanasay est un univers à elle toute seule. Il y avait pour moi le plaisir de travailler avec moi avec quelqu’un que j’aime profondément et qui a une parole très personnelle en parlant de choses graves avec beaucoup d’élégance, d’humour et de beauté. Quand je parle d’élégance, cela englobe la raffinement de la pensée, la beauté des images. Â
Peut-on dire que vous disposez d’une appétence pour des personnages atypiques ?
N.D. _ Mais oui pour moi tout est atypique puisque j’étais toujours cantonnée aux mêmes choses à l’opéra. J’aime me retrouver dans des endroits où je ne me suis jamais retrouvé à l’opéra. Encore une fois, à l’opéra on va vers un geste athlétique qui va toujours de l’intérieur vers l’extérieur. Au théâtre, il y a un échange, c’est à dire ce que l’on reçoit qui influe sur ce que vous renvoyez. A l’opéra, si interactions il y a, ce serait plutôt avec l’orchestre.
A l’opéra, on ne ressent rien du public ?Â
N.D. _ On le sent bien sûr. Mais il y a quand même une démonstration à l’opéra. Il s’agit de démontrer qu’on est très fort techniquement avant toute chose et de l’amener encore ailleurs. Il s’agit de produire d’abord un beau son. C’est comme si au théâtre, il fallait d’abord et avant tout avoir une belle voix. Ce qui quand même un peu réducteur. Mais si au théâtre, on aime bien les belles voix. Mais ce n’est pas cela qu’on va chercher.
J’ai eu le plaisir de vous voir dans Hilda dans une mise en scène d’Elisabeth Chailloux et dans Echo dans une mise en scène de Vanasay Kamphommala. Comment avez-vous été amenée à intégrer ces très différents projets ?
N.D. _ Il s’agit de ma 6e pièce. A chaque fois que je joue quelque chose, quelqu’un vient me proposer autre chose. Pour Hilda Elisabeth Chailloux m’avait vu à Avignon dans Certaines n’avaient jamais vu la mer, de Julie Otsuka mis en scène par Richard Brunel aux Carmes. C’est là qu’elle a pensé à moi pour incarner Mme Lemarchand dans Hilda. Sinon Vanasay, je la connaissais de Und dans une mise en scène de Jacques Vincey dont j’aime beaucoup le travail. J’avais été le voir dans les Bonnes. Il avait pensé à ce texte de Und d’Howard Barker pour moi. Je dois dire que cela a été un éblouissement au sens propre du texte. La première fois que j’ai lu ce texte, je n’ai rien compris. Et c’est précisément ça qui m’a plu. C’était une grande profération poétique et en même temps hyper puissante au niveau des images qui se dégageaient. Pour l’acteur, c’est hyper intéressant parce que cette langue de Barker, traduite par Vanasay, est extrêmement évocatrice et féconde pour l’imaginaire.
Quel type de personnage auriez-vous envie de jouer ? Avec quel metteur ou metteuse en scène ?Â
N.D. _ Je ne sais pas. Je veux aller où je ne suis jamais allée. Ce dont j’ai besoin, c’est d’un regard. Je veux dire que quelqu’un me choisisse précisément parce que c’est moi. Et de travailler sur ça avec lui ou elle.
Vos enfants se sont tournés vers la musique et le chant. Quels conseils leur avez-vous prodigués, forte de votre expérience ?
N.D. _ travailler dur ! Oui parce que le plaisir est à l’aune de l’effort qu’on a produit. Et puis parce que c’est difficile et que l’on n’a pas assez d’une vie pour embrasser les difficultés d’une carrière musicale ou théâtrale ou les 2. Ma fille fait de la comédie musicale donc elle est à la fois dans la musique et dans le théâtre.
Avez-vous une anecdote amusante sur le théâtre à partager ?
N.D._ Personnellement je suis absolument nulle concernant les anecdotes à brule-pourpoint. En revanche j’ai une anecdote très jolie sur l’opéra et sur les différences culturelles. C’est arrivé à mon mari (qui est baryton) et c’est magnifiquement emblématique des différences entre les peuples. Il était allé chanter les Noces de Figaro au Japon, à Tokyo. A la fin du spectacle, à la fin du IVe acte, le comte s’agenouille devant la comtesse pour lui demander pardon de toutes ses frasques, d’avoir été pris sur le fait… Et il y a ce magnifique ensemble qui va démarrer complètement irréel avec les chanteurs qui chantent en même temps et qui rentrent les uns après les autres. C’est un moment de climax extraordinaire à la fin des Noces juste avant la petite pirouette de la fin qui préfigure la fête qui s’ensuit. Mon mari commence sa phrase, presque a capella. C’est extrêmement nu et à découvert, un moment extrêmement magique. Il s’agit d’un moment de recueillement, presque mystique. Et là , la salle se met à rire. Il s’interroge, interloqué. Il se pose la question si sa perruque est de travers… Une 2e représentation au même endroit produit les mêmes effets, puis une 3e. Il imagine un problème dans les sous-titres, quelque chose qu’il ne voit pas et qui est drôle et dont ils n’ont pas conscience sur le plateau. Il va voir la traductrice japonaise pour l’interroger sur ce décalage qu’il observe à chaque représentation. Elle lui répond « c’est très drôle pour nous : un mari qui s’excuse devant sa femme ! » C’est génial ! On n’aurait pas pu penser une seule seconde à ça.
Quels sont vos projets ?
N.D._ Il va y avoir ce texte de Marie Ndiaye, Un pâle char sauvage au TNS et peut-être en tournée l’année prochaine. Ensuite, j’ai un projet des Bonnes de Jean Genet, avec Mathieu Touzet, Youlin He et Norah Krief, qui serait pour Avignon 2023. A la rentrée, il y aura une reprise d’Hilda en janvier-février avec 8 dates. A la rentrée 2023, j’aurai un Goldoni, L’imprésario de Smyrne avec Laurent Bay. Entretemps, il y a les concerts de musique classiques avec Philippe Cassard, de la comédie musicale et des chansons avec Yves Cassard.
Propos recueillis par Laurent Schteiner
© Pauline Le Goff