Festival Avignon : « A cheval sur le dos des oiseaux de Céline Delbecq

Le théâtre des Halles  nous propose actuellement un « seule » en scène admirable de Céline Delbecq, A cheval sur le dos des oiseaux. Ce texte, intimiste,  explore le « malheur indifférent » déclenchant une mécanique sociétale bien huilée ne laissant que peu d’espace à la personne mais davantage à la froide efficacité d’un système d’autodéfense mis en place par la société. Dans une simplicité confondante, Céline Delbecq nous conte la tragédie de Carine Bielen.

Sur scène, assise sur son siège, Carine Bielen entreprend de nous narrer les événements qui l’ont conduits à la tragique situation dans laquelle elle se trouve. Mère célibataire, elle s’occupe de son fils Logan et sa personnalité simple et ordinaire la définit comme une femme sans histoire. Issue d’un milieu précaire, Carine a connu dans son enfance la discrimination et la relégation. Reconnue comme handicapée, son parcours a été le fruit du ballotement incessant d’un système régi par des normes économiques et sociales désastreuses. Sa faconde naïve se caractérise par une simplicité du verbe et par la description d’une vie sans encombres. Son récit drôle et poignant est émaillé d’anecdotes de sa vie avec Logan. Elle a conscience qu’elle n’est pas un sujet parfait. Bien sûr, elle s’adonne à la boisson. « Juste un petit verre de temps en temps ». Cela étant, elle a la sensation de bien s’occuper de son fils. Un hiatus se fait jour brisant le cours naturel de sa narration par l’intrusion dans sa vie de questions à son endroit sur son rôle de mère. Se soumettant à un QI et à toutes sortes de tests, elle est amenée à raconter sa vie avec Logan. Suivi ou surveillance, la société a coché la case maltraitance d’un enfant. Un processus ou protocole est activé et les rouages sociétaux de défense de l’enfant se déclenchent. Le rythme du récit allègre, trop joyeux, cache des failles importantes que Carine n’entend pas. Elle s’approprie le discours qu’on lui sert. L’indifférence a pris le pas sur tout, les personnes et le système terriblement efficace balaye toute émotion conscientisée. La mise au pilori de Carine pour un accident, certes grave, aurait pu arriver à toute femme.  Céline Delbecq dépeint avec une précision diabolique  les contours du métabolisme froid et efficace de la société qui ne dispose que d’un logiciel de défense et de compréhension limité en la matière. Saluons la merveilleuse performance de Ingrid Heiderscheidt qui apporte une force lumineuse à ce beau spectacle.

Laurent Schteiner