Guy Pierre Couleau s’empare du texte d’Ödön Von Horvath  « Don Juan revient de la guerre » et livre un feuilleton en séquences, la quête désabusée d’un Don Juan sur le déclin. Servi par trois comédiens investis le texte prend ici une dimension plus profonde, révélant un nouveau regard sur ce personnage emblématique.
Malgré son aura légendaire Don Juan est un homme normal et en tant que tel il se doit d’accomplir son devoir de citoyen. Il connait donc la guerre, les tranchées, la difficulté de survivre dans ces conditions terribles et revient transformé. Enfin c’est ce qu’il voudrait croire… car contrairement aux apparences Don Juan souffre ici de son pouvoir de séduction inégalable, il ressent finalement cette facilité déconcertante avec les femmes comme un poids qui l’étouffe. Il aurait voulu que la guerre efface en lui le souvenir des erreurs commises auprès de ses nombreuses conquêtes pour lui permettre de reconquérir la seule qui l’obsède. Mais si la guerre lui a fait connaître le remords, elle n’a pas altéré son charme et sa mélancolie lui confère un nouvel attrait aux yeux de la gente féminine. Non il n’échappera pas aux femmes.
Ödön Von Horvath dessine un portrait intéressant et moderne de cet homme en quête d’une perfection insaisissable. C’est d’ailleurs ce que chacune des 35 femmes qu’il rencontre dans ce texte trouve attirant chez lui, elle veulent toutes quelque part lui montrer qu’elles peuvent incarner cet idéal. C’est une rétrospective, un catalogue de toutes les féminités qui lui est proposé, sans succès. Est-ce la facilité de la manÅ“uvre ou le manque d’enjeu qui l’ont rendu si cynique ? Ou encore le souvenir idéalisé et intouchable d’une parmi toutes les autres ? Don Juan vogue ainsi, de désillusions en désillusions, à l’image d’une société comportant de moins en moins de repères, un monde perdu à chaque seconde un peu plus. Et c’est une époque en ruines que Guy Pierre Couleau convoque sur le plateau au moyen d’une scénographie épurée. Prenant le parti de confier les rôles des trente-cinq femmes à deux brillantes comédiennes, il met ainsi en scène un ballet chorégraphié avec précision où l’accessoire caractérise à chaque fois une nouvelle idée d’une femme, des figures distanciées comme autant de spectres qui hantent l’esprit de Don Juan. L’ensemble est de belle facture et laisse surtout la part belle à l’interprétation des artistes. A ce titre Jessica Vedel livre une prestation parfaite, hypnotisant littéralement le spectateur à chacune de ses interventions. A découvrir au Théâtre des Halles !
Audrey Jean
« Don Juan revient de la guerre » de Ödön Von Horvath
Mise en scène Guy Pierre Couleau
Avec Nils Öhlund, Carolina Pecheny, Jessica Vedel
Crédits photos Laurent Schneegans
Théâtre des Halles à 20H