Récemment programmé au Lavoir Moderne Parisien le nouveau spectacle de la compagnie Bord Cadre se joue également cette année au festival Off d’Avignon. Une belle occasion de réentendre ce texte puissant de Bernard Marie Koltès, servi ici dans une mise en scène percutante signée Cécile Rist. Guillaume Tobo incarne avec brio le héros de ce monologue difficile, il se livre à une performance impressionnante tant dans la maîtrise de la langue de Koltès que dans la densité de son interprétation.
Un homme seul errant dans la nuit sous la pluie. Qui est-il ? Un sans-abri, un soulard, un homme dangereux ? Difficile de le comprendre au premier abord tant ses mots semblent se déverser en vrac, sans filtre, sans cohérence aucune. Pourtant cette urgence de dire, ce besoin organique de vider son sac révèle une pensée et un regard sur le monde que nous devons écouter.
Autour de ce texte emblématique de Koltès et autrefois brillamment mis en lumière par Patrice Chéreau, Cécile Rist prend un parti pris de mis en scène radical et sa prise de risque paye indéniablement. Le monologue est en effet régulièrement joué en s’appuyant fortement sur le quatrième mur là où la compagnie Bord Cadre choisit de s’adresser directement et brutalement à son audience. Ce rapport frontal, cru et saisissant installe dès les premières secondes du texte une tension concrète et persistante. Il est d’ailleurs frappant et désespérant de constater à quel point le texte de Koltès conserve toujours les même enjeux et combien malheureusement l’exclusion et la misère dont il témoigne est toujours terriblement d’actualité. Rien ne change, cette misère crasse, cette violence poisse et se répand avec la même force qu’il y a 10 ans, 20ans, 30 ans. Mis à part qu’ici, dans cette mise en scène, ce témoignage, cette parole nous est assénée bien en face, les yeux dans les yeux, de si prêt que l’on pourrait en sentir le souffle amer. Dans cet exercice périlleux Guillaume Tobo fait preuve d’une maîtrise remarquable, il ne cille jamais, il ne se départ à aucun moment de la colère sourde et froide qui l’anime. Comme une vague de violence dont le flux et le reflux donne le tempo, accompagné par la musique de Bastien d’Asnières il alterne les émotions et apporte au personnage beaucoup de densité et de nuances. Il nous laisse, après le choc de cette logorrhée désarmante, pantois, terrassés et à bout d’espoirs. Envahis par la nuit mais enragé, gagné par cette colère qui donne envie d’en découdre. Furieusement.Â
Audrey Jean
La nuit juste avant les forets de Bernard Marie Koltès mise en scène de Cécile Rist
Avec Guillaume Tobo et Bastien d’Asnières
Festival Off d’Avignon
Petit Louvre à 22H