Après avoir reçu le prix des lycéens Festival Impatience la saison dernière, la Compagnie Coup de poker nous gratifie d’une nouvelle création basée sur des textes de Patrick Declercq « On a fort mal dormi », un spectacle  adapté et mis en scène par Guillaume Barbot qui retrace l’immersion de l’auteur dans un centre d’accueil pour SDF de Nanterre. Une plongée bouleversante et douloureuse aux côtés des sans-abris interprétée avec maestria par Jean-Christophe Quenon. Une parole nécéssaire, cathartique et urgente à découvrir au festival d’Avignon cet été.
« Si l’enfant s’endort en suçant son pouce, le clochard, lui, tente d’endormir sa conscience en buvant son vin. Le monde lui est odieux. Non pas ceci ou cela dans le monde, mais le monde lui-même, le monde dans sa structure, le monde dans son être. »
Au départ il y a Jean-Christophe Quenon, un comédien qui a un peu le trac de jouer devant son public. Ce trac devient très vite celui de Patrick Declerck l’auteur qui éprouve quelques craintes à rejoindre le bus pour Nanterre, à tenter l’aventure de l’immersion dans la réalité difficile du centre d’accueil. Cette appréhension qu’il éprouve ce soir là , elle est multiple et quotidienne pour ceux qui vivent dans la rue, elle est de chaque instant la nuit comme le jour, elle colle à la peau, aux habits sales, et aux chaussures usées. Le comédien qui devient l’auteur qui devient l’acteur du récit, boucle fascinante de laquelle on ne pourra s’extraire tant la présence scénique de Jean-Christophe Quenon est incandescente, tant le sujet bouleverse, tant le traitement est fin et percutant. Par cette habile transition qui intervient dès les premières phrases du spectacles, Guillaume Barbot opère un glissement particulièrement judicieux immergeant instantanément le spectateur au cÅ“ur du récit, lui assénant avec force l’urgence de la nécessité de parler des SDF. Le texte d’ailleurs ne nous épargnera rien des horreurs de la rue, de ce qu’elle a de plus absurde comme de plus sinistre, des situations saugrenues, drôles ou terribles que l’on fait semblant d’ignorer jour après jour.
Jean-Christophe Quenon incarne avec brio les différents protagonistes de ce solo. La sobriété de la mise en scène fait littéralement exploser sur scène sa puissance d’acteur mais fait surtout rejaillir sur nous son regard bienveillant et honnête. Il se trouve à la juste distance du sujet, s’il avoue les faiblesses de Declercq lorsqu’il hait profondément les sans-abris qu’il côtoie lors de ses consultations, il  s’amuse aussi des incohérences de notre société, il se révolte enfin furieusement jusqu’à faire naitre dans ce chaos étouffant, malgré tout, un concentré d’humanité. Car malgré les apparences ce n’est pas un spectacle documentaire sur la vie dans la rue, c’est un spectacle sur nous, les autres,  sur notre incapacité à comprendre les sans-abris, sur notre lâcheté lorsqu’on détourne le regard, sur notre ignorance face aux difficultés absurdes et quotidiennes qu’ils rencontrent. « On a fort mal dormi » est bien plus qu’un spectacle engagé c’est un plaidoyer vibrant, un acte de résistance qui doit résonner de plus en plus fort pour notre survie à tous.
« Qui veut, peut ? En fait, non. Non, parce que si, par exemple, errent à tout moment dans Paris et sa proche banlieue 30000 personnes, la demande sphinctérienne de cette population pulvérise l’étendue de l’offre sanitaire… Non, parce que cette population est une population fragilisée et malade, et que les malades, ça chie, oh, pas nécéssairement beaucoup, mais tout au moins souvent, et du mou, du liquide, de la flotte…Ça suinte, un malade. Et de partout… Et l’odeur de l’excrément que l’on porte avec soi, sur soi, en soi, des jours, des semaines, des mois, parce qu’il est difficile de se laver… C’est immonde ? Évidemment que c’est immonde. Mais cela est. Cela est, à la rue, quotidien et sans fin. »
Audrey Jean
« On a fort mal dormi »
d’après « Le sang nouveau est arrivé » et « Les naufragés » de Patrick Declerck
Mise en scène et adaptation Guillaume Barbot
Avec Jean-Christophe Quenon
La manufacture à 16H15