Le dernier ouvrage de Léonora Miano paru chez L’Arche éditeur nous livre une série de conférences effectuées aux Etats Unis. Ce recueil passionnant pétri d’humanité aborde des thématiques enfouies dans notre inconscient collectif. Elles touchent  tant l’aspect identitaire des peuples subsahariens dans leur histoire, que le nécessaire examen de conscience de l’Europe face à ses responsabilités historiques et enfin une définition des contours entourant « l’hybridité culturelle » due à la rencontre frontalière et parfois mouvementée des peuples. Ce dernier aspect apporte un éclairage nouveau sur cette notion de frontière qui génère du sens.
 Revenant sur l’influence africaine américaine, l’auteur nous fait ressentir sa véritable conscience de sa couleur en se plongeant des textes d’écrivains afrodescendants. Ce sont les auteurs noirs américains qui lui ont ajouté cette conscience de la couleur. Etre femme et de couleur noire. De la couleur au blues ou au Jazz, il n’y a qu’un pas à franchir. Ecrire le blues revient à créer une atmosphère « happy » ou « mean ». Cette ambiance rugueuse se confronte au sein de l’œuvre de Léonora Miano dont l’âpreté permet de conserver une certaine pureté. Le blues est cette expression qui est chevillée au corps de ceux qui croient résolument en l’homme et aux lendemains meilleurs. C’est la musique de la liberté et de l’épanouissement individuel.
La notion de « frontière » décrite dans cet ouvrage est un lieu de rupture consacrée, là où les mondes s’entrechoquent en permanence. On bascule sans cesse d’une sensibilité à une autre avec des manifestations de haine, de mépris mais qui créent malgré tout du sens. Cette croisée des cultures génère un sens pour Léonora Miano qui exprime ainsi sa multi appartenance culturelle. C’est ainsi que l’auteur décrit l’Afrique comme une construction purement européenne imposant des fractures culturelles au cœur d’ensembles homogènes. Ce passé historique a imposé la langue des colons au détriment des langues parlées au Cameroun notamment. La conséquence est qu’aucune langue n’est majoritaire dans ce pays. Souffrant d’un déficit de traces historiques, les africains ont du mal à établir les liens qui les relient à leurs aïeux. « Être un Africain, de nos jours, c’est être un hybride culturel c’est habiter la frontière le reconnaitre, c’est être honnête envers soi-même, regarder en face ses propres réalités, et être capable de les infléchir. Il ne s’agit pas de chercher à valoriser l’une ou l’autre des composantes de cette identité, mais de se dire qu’on a le privilège rare de pouvoir choisir le meilleur de chaque culture. » (Léonora Miano).
En se penchant sur l’aspect communautariste des noirs, force est de constater que la communauté noire de France n’existe pas. Ils se regroupent au sein d’associations qui revendiquent leur propre culture issue de leur pays d’origine. L’absence d’officialisation de la ségrégation raciale en France contribue également à cette absence. Etre noir en France c’est ne pas avoir le droit de revendiquer les grandes figures qui ont marqué l’histoire. Pire, les blancs se sont appropriés les problèmes des noirs, en parlent et sont davantage entendu que les noirs eux-mêmes. Le piège du métissage guette également. Si la France prône le métissage en le portant au nu, elle oublie qu’elle a pris soin, ce faisant, de verrouiller l’espace public.
Mais depuis quelques années, la relation à l’autre est devenue déterminante.si le colonialisme a engendré la traite négrière, il a aussi façonné l’imaginaire français. Les denrées qui nous sont indispensables quotidiennement comme le café, chocolat, le sucre…ont aidé à façonner les rêves d’aventures. Léonora Miano à ce titre a coutume de dire : « les peuples subsahariens et afrodescendants ont pénétré la conscience et la chair de l’Europe. » Concernant les Noirs de France, on constate que le pays est toujours ancré dans « la plantation », dans un passé qui vomit une culpabilité constante sur cette page d’histoire peu glorieuse. Cet ancrage rend d’autant plus difficile une nécessaire assimilation des Noirs et une revendication à partager les mêmes valeurs que le reste de la communauté française. Constater un regard différent sur l’histoire coloniale leur permettrait d’éviter de revendiquer leur appartenance à leurs pays d’origine mais au contraire de se sentir pleinement français. C’est au prix d’une « décolonisation de son imaginaire » que la France peut avancer.
« La couleur, pour une personne noire vivant dans un espace majoritairement blanc, fait partie de l’individualité…La peur de l’autre est fonction du regard posé sur lui, et dans bien des cas, on fabrique soi-même l’objet de ses craintes. » (Léonora Miano)
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Laurent Schteiner
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Habiter la frontière de Léonora Miano
Collection Tête-à -Tête
Prix conseillé : 16 €
ISBNÂ : 978-2-85181-786-0Â
L’Arche Éditeur
86 rue Bonaparte
75006 Paris
www.arche-editeur.com