A travers l’œuvre de Tarjei Vesaas, Claude Régy sonde et explore le noman’s land qui sépare la vie de la mort. Dans une mise en scène très particulière, Claude Régy nous propose un spectacle où  le temps est en suspension. L’action présentée au ralenti est décomposée et désarticulée dans ce moment clé qui n’est jamais présenté. C’est avec précision que Claude Régy nous propose de vivre cette semi-conscience en sondant l’indicible, l’inexplorable. Interprété avec talent par Yann Boudaud, cette expérience théâtrale ne peut laisser indifférent tant son impact sur le public est fort.

 

De manière ostensible et très progressivement, les spectateurs perçoivent une faible lumière sur scène. Un halo se dessine lointain. Puis la lumière froide se fait plus dense et l’on perçoit une forme, un homme. Son visage, dans le silence, apparait au fil des secondes qui s’égrènent. Le temps semble suspendu. A présent, l’homme sur scène parle avec lenteur et détachement prononçant les mots qui s’écoulent de son âme. Une musique lancinante accompagne ses propos, en arrière fond, présente et oppressante.

 

L’homme se noye dans une rivière, dans un environnement hostile et désert. Le corps de l’homme bouge et se meut dans ce courant qui l’emmène. Entre conscience et inconscience, les ressentis prennent forme. Chaque parole entrecoupée de silence marquant traduit cet état d’apesanteur où l’homme sent et voit ce qui lui arrive. Un tronc d’arbre qui le heurte et sur lequel il va s’accrocher, des animaux qui le piquent et le mordent sous l’eau, dans la vase et qui lui font prendre conscience qu’il va être mangé.

 

Les seules présences vivantes sont les corneilles qui se posent sur le tronc d’arbre qui le supporte et un chien qui aboye. L’homme, dans sa rage de survivre ne pouvant plus s’exprimer, la bouche envahie par l’eau, tente d’aboyer à son tour pour appeler à l’aide faisant écho à ce chien. Mais le silence est omniprésent. S’accrochant à une racine, et plaqué sur un rebord dur, une barque s’approche soudainement.

 

Les silences totalement habités par la solitude, l’abandon donnent une puissance oppressante au spectacle. Soudain, deux hommes apparaissent sur scène au ralenti. Le charron est là, guidant l’homme vers sa nouvelle destination.

 

La remarquable interprétation de Yann Boudaud est à souligner dans cette mise en scène osée. Le spectacle achevé, les lumières reviennent et le silence se poursuit parmi les spectateurs qui demeurent fascinés par ce moment très fort qu’ils viennent de vivre.

 

Laurent Schteiner

 

La barque le soir de Tarjei Vesaas

Traduction de Régis Boyer mise en scène de Claude Régy

Avec Yann Boudaud, Olivier Bonnefoy, Nichan Moumdjian.

Création Odéon-Théâtre de l’Europe

Production Les Ateliers contemporains,

Coproduction Odéon-Théâtre de l’Europe, Festival d’Automne à Paris, le Centre Dramatique National d’Orléans-Loiret-Centre, le Théâtre National de Toulouse Midi Pyrénées, le Théâtre Garonne et la Comédie de Reims.

D’après La barque le soir / Båten om kvelden de Tarjei Vesaas, traduit par Régis Boyer, Éditions Corti, 2003. (Réédition prévue en septembre 2012)

 

Assistant mise en scène Alexandre Barry

Scénographie Sallahdyn Khatir

Lumière Rémi Godfroy

Son Philippe Cachia

Traduction Régis Boyer

vidéo Erwann huon

Théâtre de l’Europe – Odéon

Ateliers Berthier

75017 Paris

www.theatre-odeon.fr

Jusqu’au 3 novembre 2012

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