Le théâtre de l’Odéon présente actuellement Phèdre(s) dans mise en scène de Krzysztof Warlikowski reposant sur l’écriture plurielle et l’inspiration de Wadji Mouawad, de Sarah Kane et de J.M. Coetzee. A travers ces multiples prismes Krzysztof Warlikowski nous offre une Phèdre aux Mille et un visages. Un kaléidoscope dont on ne ressort pas indemne où le classique se conjugue avec bonheur à la contemporanéité d’une Phèdre dont la performance éblouissante d’Isabelle Huppert survole cette belle réussite.
Cette pièce aurait pu davantage se nommer « Des dieux et des hommes » tant leur imbrication s’avère profonde. Krzysztof Warlikowski nous propose ici un jeu de poupées russes où Dionysos possède Aphrodite qui elle-même vit dans le corps de Phèdre. Si les dieux sont traditionnellement exclus des charmes de la vie terrestre, la mise en scène nous convie à un jeu de pistes dans un dédale où l’immortel rencontre le mortel.
Le choix de la mise en scène de Krzysztof Warlikowski présente un Hyppolyte dépourvu de désir, a fortiori pour Phèdre, un personnage suicidaire, aux confins de lui-même. A contrario, le désir de Phèdre est immense, incommensurable, aspirant et inégalable. Créant ce déséquilibre, Krzysztof Warlikowski replace la notion de sexe et désir au cÅ“ur de la pièce. Plus le désir d’Hyppolyte est faible plus celui de Phèdre s’avère fort. Il complète ce tableau par un Thésée sanguinaire qui détonne des autres versions de Phèdre que l’on connait bien.
Krzysztof Warlikowski joue astucieusement avec la temporalité de la pièce qui débute dans un orient d’avant l’âge d’or des grecs et s’achève dans une époque moderne. La dernière partie, peut-être un peu longue, nous offre une interview d’Elizabeth Costello, un personnage imaginaire de J.M. Coetzee, qui discourt sur Eros et ses imbrications avec le monde terrestre. Cet entretien avec cette auteure, alias Isabelle Huppert, transpire la drôlerie en remettant en perspective l’histoire de Phèdre qu’il nous a été donné de voir.
Ce spectacle assis sur la scénographie astucieuse d’une boite transparente, située à cour et qui se déplace au centre de la scène, apporte une force dramaturgique au propos de cette création. Les comédiens sont tous excellents et concourent à imprimer la projection d’une Phèdre multiple. Les chorégraphies présentes dans cette pièce, exécutées par Rosalba Torres Guerrero, sont absolument bluffantes. Isabelle Huppert varie avec virtuosité les facettes de ses personnages d’Aphrodite à Elizabeth Costello en passant bien entendu par Phèdre. Une fois de plus on ne peut que remarquer l’étendue de son talent où elle apparait tantôt sensuelle, amoureuse, et désespérée, tantôt froide et déterminée en Aphrodite, ou encore décalée en Elizabeth Costello. Ce soir Isabelle Huppert signe à nouveau une belle performance à l’actif de cette intéressante proposition de Krzysztof Warlikowski.
Laurent Schteiner
Phèdre(s) d’après Wadji MOUAWAD, Sarah KANE et J.M. COETZEE
Mise en scène Krzysztof WARLIKOWSKI
Avec Isabelle HUPPERT, Agata BUZEK, Andrzej CHYRA, Alex DESCAS, Gaël KAMILINDI, Norah KRIEF, Rosalba TORRES GUERRERO
- Dramaturgie : Piotr GRUSZCYNSKI
- Décor et costumes : Malgorzata SZCZESNIAK
- Lumière : Felice ROSS
- Musique originale : Pawel MYKIETYN
- Vidéo : Denis GUEGUIN
- Chorégraphies : Claude BARDOUIL, Rosalba TORRES GUERRERO
- Maquillages et coiffures : Sylvie CAILLER et Jocelyne MILAZZO
- Son : Thierry JOUSSE
- Compositeur de la musique jouée sur scène : Bruno HELSTROFFER
- © photo Pascal VICTOR
Théâtre de l’Odéon
Place de l’Odéon
75006 Paris
www.theatre-odeon.eu
Réservations : 01 44 85 40 40
Jusqu’au 13 mai 2016