Phenix Festival : « Je m’appelle Adèle Bloom » de Franck Harscouët
Franck Harscouët nous a livré une magnifique fresque sur l’état de la psychiatrie au Canada en 1948, Je m’appelle Adèle Bloom, au Studio Hébertot, dans le cadre du Phénix Festival. Ce faisant, il nous a dressé le portrait d’une jeune femme inadaptée socialement et internée de force dans un établissement psychiatrique d’Halifax, Providence. Cette pièce, reposant sur des ressorts historiques, nous entraine dans un pays où l’état de l’art de la psychiatrie relève davantage d’une situation moyenâgeuse.Â
La scénographie utilise à son avantage un espace scénique réparti en trois parties bien distinctes. A Jardin, nous retrouvons Rosemary Kennedy, la soeur de J.F.K., dont sa marionnette trône sur un piano. Lobotomisée, ne s’exprimant qu’à travers sa marionnette, elle ne vit plus que recluse dans son monde intérieur. Au centre de la scène, figure la chambre d’Adèle et enfin à Cour, le bureau du docteur Walter Freeman qui dirige Providence. Ses méthodes brutales et radicales sont célèbres et craintes par les pensionnaires de cet établissement : électrochocs et pratique de la lobotomie transorbitale. Ces méthodes, qui virent le jour également en Europe dans ces années-là , témoignent d’un courant en vue de traiter des troubles psychiatriques. Mais les résultats escomptés furent désastreux et ces pratiques furent rapidement abandonnées.
Adèle Bloom, employée de la poste, inadaptée socialement, a été placée contre son gré en internement. Usant de rébellion et de provocation, elle s’élève contre cette institution brutale. Le docteur Freeman, secondé d’une main de fer par la surveillante Mme Wilbord, tente de faire entendre raison à cette jeune femme qui n’aspire qu’à sortir de cet établissement. Son esprit partant à la dérive par moment, elle se raccroche à son imaginaire en créant parfois des personnages et surtout à ses carnets où elle décrit sa vie qui s’effiloche jour après jour. Elle traduit ainsi son enfer. L’écriture sera son exutoire et la garantie d’un succès inattendu. Ce long cheminement vers la liberté lui permettra de reprendre sa vie confisquée.
Le jeu des comédiens est remarquable. Saluons la performance d’Armelle Deutsch qui donne du corps à son personnage en l’habitant complètement et parfois de façon hallucinée. Sa forte présence scénique charpente un personnage à la vie cabossée mais disposant d’une forte résilience. Passant d’un sentiment ou d’une émotion à l’autre, elle nous charme par une palette variée de jeux. Elle transcende le personnage d’Adèle en lui donnant une puissance extraordinaire. Sophie-Anne Lecesne, jouant quatre personnages, est étonnante en passant d’un rôle à l’autre avec aisance. On se prend à imaginer une autre comédienne à chacune de ses apparitions. Philippe d’Avilla, est parfait en médecin froid, détaché et avide de notoriété. Enfin Laura Elko, alias Rosemary Kennedy, à la présence discrète et fuyante dispose, contre toute attente, d’un rôle prépondérant dans le propos de la pièce. Joliment écrit par Franck Harscouët, Je m’appelle Adèle Bloom est une pièce qui réclame un travail colossal de mise en scène. Franck Harscouët a su nous plonger dans une époque sombre où le corps n’était qu’un objet d’étude et de manipulation. Soulignons une magnifique direction d’acteurs qui enlève ce spectacle avec panache.
Laurent Schteiner
Crédit Photo Franck Harscouët
Je m’appelle Adèle Bloom de Franck Harscouët
Texte édité aux Editions théâtrales LES CYGNES
Mise en scène de Franck Harscouët
avec Armelle Deutsh, Sophie-Anne Lecesne, Philippe d’Avilla et Laure Elko
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