Francis Huster, à l’occasion de son dernier spectacle, Le Joueur d’échecs actuellement à l’affiche du Théâtre Rive Gauche s’est confié à nous dans un entretien de 45 minutes ! Ce superbe comédien nous fait entrer dans les coulisses de sa dernière pièce et nous donne son sentiment sur le métier d’acteur. Un entretien des plus passionnants !
Avez-vous travaillé sur l’adaptation de cette pièce ?
Non, c’était exclusivement le travail d’Eric-Emmanuel Schmitt qui connait parfaitement Stefan Zweig qu’il lit même en allemand. Lorsqu’il m’a proposé ce monologue, j’ai tout de suite accepté. Je lui ai simplement demandé de modifié la dernière phrase que je voulais résolument optimiste : « Je suis si heureux depuis que j’ai pris cette décision » par « Depuis que j’ai pris cette décision, je suis si heureux« . Eric-Emmanuel Schmitt a aussitôt approuvé cette modification.
La Peste m’avait stigmatisé en noir. Ce spectacle qui fut pour moi un succès avec 960 représentations dans le monde et 1 millions de spectateurs m’avait personnifié en noir. Et là , Eric-Emmanuel Schmitt et Steve Suissa m’ont imaginé en blanc. Ce spectacle devient alors pour moi synonyme de libération, en quelque sorte. Me voilà libéré de La Peste.
Et puis, ce spectacle baigne dans une actualité troublante qui rappelle les années 40 où la passivité des politiques et des peuples allait couter très cher à l’humanité. D’une certaine manière on revit les mêmes choses alors que l’obscurantisme s’abat sur notre monde et qu’une passivité nous envahit à nouveau.
La passivité a également gagné les plus grands. Ainsi pour ne parler que de Zweig ou bien Camus, personnalités immenses dans le monde, ceux-ci ont adopté des postures frileuses. Camus, recevant son prix Nobel ne s’est jamais exprimé sur la réalité de la guerre d’Algérie. Zweig, de son côté n’a jamais réagi dans les années 30 par un « J’accuse ». Un peu comme si l’absence de réaction nous préservera du reste. « Ne réagissons pas ! On va nous traiter de racistes ! Restons dans notre monde (artistique) ! »
Pour en revenir à cette magnifique programmation que nous offre le Théâtre Rive Gauche, je suis fier de son engagement avec des pièces fortes comme Le Journal d’Anne Frank et maintenant le Joueur d’échecs.
Qu’est-ce qui vous le plus séduit dans cette pièce assez emblématique (la dernière pièce que Stefan Zweig ait écrite livrant ainsi son testament puisqu’il se suicida peu de temps après) ? Le personnage ? Le talent de Steve Suissa et celui d’E-E-Schmitt ? Ou porter une parole qui trouve des résonances dans l’actualité du moment ? Ou tout ça ?
Rien de tout cela. Lorsque Eric-Emmanuel Schmitt m’ a proposé le rôle. J’ai dit immédiatement « oui » bien qu’estimant que ce rôle ne pouvait qu’échoir à un autre, un Weber ou un Balmer par exemple. Puis a y regarder de plus près la pièce, je me suis aperçu qu’il y avait plusieurs personnages. En général on fait semblant de jouer tous les personnages mais me concernant il y a en a toujours un sur lequel je m’investis à fond et qu’on vit à plein sur scène. Ici c’était M. B et c’était pour moi. Faire le fou sur scène avec distanciation et dérision en se moquant ouvertement de son entourage, c’est ça la folie. Dire des choses qui sont réelles pour soi mais dites de telle manière qu’on ne vous en tient pas responsable.
Quelles sont pour vous les difficultés auxquelles vous avez été confrontées ? De la nouvelle à une adaptation théâtrale, ce n’est pas si simple ?
Il faut écouter parler. Ce n’est pas du cabotinage. Il est important d’entendre comme tu joues, tu parles, le rythme que tu utilises. Cela demande une concentration énorme. C’est épuisant.
C’est un magnifique spectacle et E-E-Schmitt a fait un travail d’adaptation remarquable en choisissant chaque mot avec soin. Cette partie d’échecs où les blancs contre les noirs témoignent du conflit intérieur qui animait Zweig. Une partie contre lui-même. C’est intéressant de savoir que l’on peut être à la fois sublime et le diable. E-E-Schmitt a tout compris de la personnalité même de Zweig. Son suicide sonne le glas de son incapacité à avoir combattu le nazisme comme il aurait du le faire. Il n’a pris aucun risque.
Il avait un tel ego qu’il a organisé sa défaite en mettant en scène sa propre mort.
Exactement ! D’autant qu’il avait choisi de mourir le même jour que Freud pour qui il avait fait une éloge funèbre.
Davy Sardou avait attiré mon attention sur le fait que vos représentations n’étaient jamais les mêmes.Â
Il est sur qu’il est toujours très intéressant de prendre des risques. Changer d’itinéraire de jeu revient revient à se mettre en danger. Andrzej Zulawski s’arrangeait dans ses films pour que son actrice soit laide pour que les moments, où elle serait belle, soient les plus forts.
Mais il y a des représentations où on n’y arrive pas. On n’est pas là . Dieu merci, tout est toujours cimenté. Cela fonctionne mais le public ne s’y trompe pas. Il s’en rend compte tout ne sachant pas l’expliquer. Ces représentations sont suffisamment rares pour mettre en valeur celles qui sont incomparables.
Ce qu’apporte un acteur avant tout est la découverte qu’il partage avec le public.
L’acteur découvre le scénario, apprend le texte, repère les endroits où il doit se mettre…etc…Ensuite, l’acteur oublie tout et découvre.
Vous renouez avec le seul en scène depuis « Bronx », quelle différence avec ce nouveau spectacle ?
Bronx, c’était Offenbach, c’était gai et juvénile. Le Joueur d’échecs pas du tout. Je le jouerais sans doute 300 fois et je le reprendrais ensuite partout.
Le joueur d’échecs sera joué jusqu’à fin décembre. Ensuite, pendant la tournée de l’Affrontement entre janvier et mai 2015, j’assurerais les matinées et les lundis,
Enfin prochainement, je sortirais un ouvrage d’aphorismes (près de 800) qui s’intitulera « La vie, les femmes et les emmerdes » aux Editions Le Passeur.
Et en novembre je serai le maître de cérémonie au Casino de Paris pour Ciné Musiques ou seront jouées les plus grandes musiques de films par l’Orchestre Philharmonique de Prague.
Laurent Schteiner