Théâtre : « A coeur perdu » de Emmanuelle de Boysson

Le théâtre de l’Essaïon nous présente actuellement un spectacle remarquable, A coeur perdu de Emmanuelle de Boysson. La véracité de son récit, adapté par Hervé Bentégeat, tiré de son ouvrage Un coup au coeur, marque profondément les esprits tant son expérience singulière s’avère proprement sidérante. Soulevant des questions existentielles et philosophiques, cette histoire se déroule à l’ombre de la résilience et de la rage de vivre. Paraphrasant le film de Warren Beatty sorti en 1978, Le ciel peut attendre !

Après un arrêt cardiaque de 30 minutes, une femme, Emma,  sauvée par son mari Anton, revient doucement à la vie. Cette mort clinique et l’EMI (Expérience de Mort Imminente) qui en a découlé va changer à jamais sa vie. Une EMI comporte toujours un faisceau d’images apaisantes baignées de sérénité. Le retour à la vie d’Emma a été marqué par ce bain de tranquillité heureuse et rayonnante. Un ailleurs qui se distingue par une liberté qui dépasse les frontières des désirs et de l’espoir et où le temps n’existe plus. Un bien-être qui envahit l’âme. Enfin, un lieu débarrassé de toute attache terrestre où ne règne désormais que l’harmonie.

Cet événement a consacré des effets inattendus où Emma a semblé perdre sa boussole. Vivre devenait soudainement fade et inintéressant. Donnant le change à son entourage, elle s’enfermait dans un mutisme et une solitude que seul l’exceptionnel est susceptible de générer. De cette expérience, il est rare d’en sortir indemne. En 1996, Jean-Philippe Labro avait tiré de son expérience un livre,  La traversée, relatant ces moments magiques. Ainsi, cette mort tant redoutée, par le commun des mortels, pourrait être un lieu de bienfaits et sérénité. Le coeur de cette femme nourrie au doux breuvage de l’amour de son mari, lui a forgé une résilience propre à lui accorder désormais un plaisir accru à chaque moment de vie. Animée d’une rage de vivre et armée de son amour de la vie, Emma, après ce voyage ne sera plus jamais la même. Plus forte, pleine d’amour et de compassion, elle nous délivre un message divin : l’absence de peur de l’au-delà et la foi en la vie. Son témoignage singulier est interprété de façon remarquable par Carmen Vadillo qui a accompli une performance émouvante revisitant avec ses tripes ce voyage exceptionnel. De facto, une véritable osmose s’est opérée entre l’autrice et cette merveilleuse comédienne dans une salle tétanisée et totalement à l’écoute. Ayant jeté un pont entre le réel et l’au-delà, Emmanuelle de Boysson nous a cueilli de façon troublante par son humanité qui nous a tous remués jusqu’au tréfonds de notre âme. A coeur perdu, âme retrouvée !

Emma est morte le 7 février 2022. Son cœur a cessé de battre pendant trente minutes.

Trente minutes dans l’au-delà et une vie à danser de joie !
« Il était dix-sept heures vingt lorsque mon cœur s’est arrêté. »

Laurent Schteiner.