Anne Kessler s’empare de « La Double Inconstance » de Marivaux et nous offre une création enthousiasmante à la distribution exemplaire. Florence Viala , Adeline D’Hermy, Loïc Corbery et Stéphane Varupenne incarnent en effet les protagonistes de ce labyrinthe amoureux machiavélique et jubilatoire.
C’est toute la cruauté de Maritaux qui est ici mise en lumière au terme d’une intrigue rocambolesque. Arlequin et Sylvia s’aiment d’un amour sincère et innocent. Ce sont des gens simples, à priori sans penchant pour la vie luxueuse de la cour, ils n’ont en réalité pas d’autre ambition que de vivre en harmonie dans leur campagne. Mais le prince, lors d’une promenade en costume d’officier, tombe fou amoureux de la belle Sylvia. Aidé de sa complice Flaminia, il n’aura alors de cesse de pousser le jeune couple à la séparation à grands renforts de manipulations.
Marivaux met le sentiment amoureux à l’épreuve dans cette pièce aux multiples rebondissements. Il met en place dans un assemblage très précis les mécanismes de ce qui pourrait s’apparenter à une étude sociologique de l’amour. Comment deux êtres unis d’une affection si pure peuvent-ils résister à toutes formes de parasites et de pressions extérieures ? Tel est le sujet de cette démonstration anthropologique en bonne et due forme. On observe ainsi, non sans un sentiment jubilatoire de voyeurisme, le couple se désagréger sous l’action du prince et de sa cour. Car tous sont acteurs de la malversation, tous participent avec plus ou moins de bienveillance au reconditionnement amoureux d’Arlequin et Sylvia.
Anne Kessler livre ici un parallèle intéressant entre le complot dont font l’objet les deux amants innocents et la création d’un spectacle. Les comédiens par essence jouent le jeu, manipulent le spectateur, répètent inlassablement l’action jusqu’a ce que l’illusion soit parfaite. C’est ainsi que sur la scène de la salle Richelieu on observe les acteurs prendre peu à peu possession de leur rôle. Les costumes se complètent au fur et à mesure que l’histoire jouée se fond dans la réalité. La répétition d’élèves-acteurs, le processus de création du spectacle devient au fil des actes la vie concrète des personnages. Ce dispositif astucieux donne lieu à quelques moments d’anthologie comme la scène du bain, ou la danse façon Broadway du prince et Sylvia. Certes par endroits, l’effet est un peu trop surligné mais ne boudons pas notre plaisir l’ensemble est pertinent et séduit sans conteste.
S’il l’on a rarement à redire sur la qualité d’interprétation des artistes du Français, on se doit de souligner la justesse de la distribution de ce Marivaux. Loïc Corbery et Stéphane Varupenne se disputent allègrement le statut d’homme de la situation, tandis que Florence Viala détourne avec une intelligence toute féminine la naïve Adeline D’Hermy. Le quatuor excelle dans cette partition et nous offre un ballet millimétré où la langue de Marivaux est parfaitement restituée. Saluons également la performance de Georgia Scalliet délicieuse dans le rôle de Lisette. Une proposition des plus réjouissantes !
Audrey Jean
« La double inconstance » de Marivaux
Mise en scène d’Anne Kessler
Avec Catherine Salviat, Eric Génovèse, Florence Viala, Loïc Corbery, Stéphane Varupenne, Georgia Scalliet, Adeline D’Hermy
et les élèves-comédiens de la Comédie Française Claire Boust, Erwen Crovella, Charlotte Fernand, Thomas Guené, Solenn Louër et Valentin Rolland
Jusqu’au 1er Mars 2015
Salle Richelieu de La Comédie Française
1 place Colette