Marion Conejero et sa toute jeune équipe s’emparent avec maestria du texte de Frank Wedekind « L’éveil du printemps » actuellement programmé au Théâtre de Belleville. Une adaptation resserrée, nerveuse qui donne à voir une distribution impeccable doublée d’une mise en scène inventive et d’une fluidité impressionnante. Un sans-faute qui constitue indéniablement un des premiers coups de coeur de la saison !
Des enfants face aux questions du monde. Des corps qui changent et qui bouillonnent des premiers émois, des premiers désirs. Chacun des protagonistes de ce récit a sa propre sensibilité, sa propre histoire, ils ne sont pas tourmentés de la même manière mais sont reliés par la même énergie, la même fougue et la même curiosité pour les choses de la vie, pour tout ce que les adultes, gênés, leur cachent encore. Ils seront seuls face à la découverte des changements de leur corps et face à tout ce que cela peut entraîner de joies ou de drames.
Par un habile procédé Marion Conejero commence par mettre en perspective le texte de Wedekind, elle y apporte une distanciation judicieuse en donnant la parole en début et fin de spectacle à des jeunes qui s’intéressent à l’histoire passée de Melchior, Moritz et Welda. Une manière efficace et sensible de se servir des années qui séparent l’écriture de la pièce de sa création ici à Belleville. Les enjeux du texte sont intemporels, tout a changé et tout est pareil, l’adolescence se vit dorénavant avec écrans et réseaux sociaux mais les émotions, les doutes, les attentes, les crises sont exactement les mêmes. Le spectateur est ainsi propulsé dans un tourbillon fait de rage et de lumière, une immersion radicale, fulgurante et passionnante dans le questionnement et le mal-être adolescent. Le travail sur le dramaturgie est remarquable, le crescendo autour du personnage central de Melchior gagne en intensité au gré d’une savante et fascinante construction. Quelle maîtrise de l’espace scénique, la scénographie est en effet minutieuse, précise, affûtée mais regorge également de petits détails jubilatoires, de trouvailles astucieuses qui confèrent au spectacle une dimension esthétique particulièrement réussie. L’ensemble est complété par la bande sonore, jouée à vu par Zerkâla, une musique composée de multiples instruments qui prend différents visages, des sons qui s’immiscent parfois subrepticement ou qui au contraire bousculent l’orde établi, laissant exploser toute la rage contenue dans les corps. Tout se joue ainsi, sur le fil, dans un espace ouvert et modulable, les sensations, les ressentis glissent peu à peu vers quelque chose de plus sombre. Les larges sourires, les rires tonitruants des adolescents, les corps joyeux et sautillants laissent la place aux failles, à des gouffres de solitude, de douleur et d’incompréhension face à la violence du monde qui les entoure. La romance, les amitiés, le désir, le rapport compliqué à la famille ou à l’autorité de l’école, tout ici s’enchevêtre dans une bouillonnante et palpitante mise en scène. À l’instar du morceau du groupe Fauve qui entraîne finalement cette jeunesse dans une course trépidante, le spectacle est animal, il crépite tel un feu dévorant, d’une énergie enveloppante et ravageuse dont le spectateur ressort conquis. C’est une création féroce et enthousiasmante à bien des niveaux, la finesse du jeu des interprètes associées à une vision extrêmement claire du texte et de ses enjeux, rien dans ce spectacle « L’éveil du printemps » ne fait défaut, l’ensemble est fulgurant sans jamais non plus tomber dans la démonstration ou dans l’excès. Marion Conejero impressionne par la maîtrise de son adaptation et de la mise en scène, la Compagnie des chiens andalous a incontestablement de bien beaux jours devant elle. Nous ne manquerons pas de suivre ces jeunes interprètes de très près, en espérant surtout qu’ils ne renoncent jamais à cette folie adolescente.
Audrey Jean
« L’éveil du printemps » d’après Frank Wedekind
Adaptation,  mise en scène et scénographie Marion Conejero
Avec Lucile Chevalier, Laure Duedal, Paul de Monfort, Thomas Silberstein, Gaëlle Battut,  Bastien Spiteri et Zerkâla (Mateo Lavina)
Jusqu’au 31 Octobre au Théâtre de Belleville
Du mercredi au samedi à 21H15