C’est avec une impatience non dissimulée que le public attendait la nouvelle création du collectif MxM. Cyril Teste et son équipe avaient en effet bénéficié d’un succès retentissant avec leur précédent opus « Nobody », se distinguant notamment par leur recherche innovante autour de la performance filmique.  Un travail d’orfèvre minutieux et affûté pour un hommage à « Festen » proche de la perfection.
Tout commence par une réunion familiale comme tant d’autres, c’est l’anniversaire du patriarche de cette famille bourgeoise et en apparence aimante. À l’occasion de ces soixante ans à fêter famille et amis sont invités à un grand et fastueux dîner. Très vite des détails, des éléments dissonants viennent cependant égratigner les dorures, crisper les attitudes… quelque chose de sale, rampant et poisseux se trame dans cette maison, on le sent. Christian le cadet se lève et entame un discours en l’honneur de son père. La fête est finie.
« Festen », une histoire d’ambiance. C’était déjà l’essence du chef-d’oeuvre de Vinterberg, cette atmosphère empesée, électrique, chargée de silences tendus, une ambiance lourde, prête à écraser tout sur son passage. La mission pour ainsi dire était donc délicate pour Cyril Teste, parvenir à restituer la force prégnante du film tout en proposant une approche différente. Sa recherche autour de la performance filmique se fond ici idéalement avec l’oeuvre originale, démultipliant les points de vue des différents personnages et laissant la possibilité au hors-champ théâtral d’exister. Obéissant également à une série de règles fixées en amont la performance filmique fait ainsi brillamment écho au fameux dogme 95 de Lars Von Trier et Thomas Vinterberg. Rappelons-le Cyril Teste travaille en effet sur l’élaboration d’une nouvelle grammaire scénique, pour donner lieu à des spectacles hybrides, du théâtre certes mais doublé d’un film tourné, monté et réalisé en temps réel. Une construction extrêmement complexe donc qui saisit ici le spectateur tout d’abord par sa technicité, la maîtrise de l’outil vidéo est en effet à son paroxysme, le collectif s’octroyant même le pouvoir de matérialiser des fantômes. Le processus est incontestablement remarquable, virtuose, isolant les émotions en gros plans sur les visages comme des apartheid en coulisses, des parenthèses où se dénouent aussi les ressorts de l’intrigue. On retrouve dans la construction du décor une atmosphère froide et inquiétante, il y a immédiatement étrangement quelque chose d’étouffant dans ce volume, quelque chose de toxique dans cet espace si propre et bien rangé. Évidemment à mesure que l’étau se resserre autour de Christian on saisit mieux la portée de certains éléments comme ce tableau de Corot « Orphée ramenant Eurydice des enfers » qui transforme par le traitement de l’image vidéo le paysage bucolique en gouffre sans fond de l’abject. Englués dans ces secrets de famille honteux les personnages se fissurent au fur et à mesure que la tension monte, que l’omerta se brise, l’interprétation des comédiens est quant à elle sur le fil de bout en bout, toujours ciselée et d’une précision redoutable. En loin dans ce décor ultra sophistiquée on devine pourtant la silhouette de Hamlet, sorte de figure d’insoumission qui insufflerait à Christian son courage pour démasquer les vérités. Plus besoin de choisir entre cinéma et théâtre: voici une occasion de découvrir ce grand classique sous un nouvel angle jusqu’au 21 décembre !
Audrey Jean
« Festen » de Thomas Vinterberg et Mogens RukovÂ
Adaptation théâtrale Bo Hr Hansen
Adaptation française Daniel BenoinÂ
Mise en scène Cyril TesteÂ
Avec Estelle Andre, Vincent Berger, Herve Blanc, Sandy Boizard ou Marion Pellissier, Sophie Cattani, Benedicte Guilbert, Mathias Labelle, Daniele Leon, Xavier Maly, Lou Martin-Fernet, Ludovic Moliere, Catherine Morlot, Anthony Paliotti, Pierre Timaitre, Gerald Weingand et la participation de Laureline Le Bris-Cep
Jusqu’au 21 Décembre aux Ateliers BerthierÂ
Odéon Théâtre de l’Europe