Théâtre : « Du domaine des murmures » de Carole Martinez

Le Lucernaire vient de nous présenter un très beau spectacle de Carole Martinez adapté par Jessica Astier, merveilleuse interprète de ce Domaine des murmures. Cette magnifique pièce met à l’honneur ces femmes, dites recluses, qui ont choisi de vivre en ce XIIe siècle, emmurées pour prier Dieu jusqu’à la fin de leurs jours. Esclarmonde que nous conte ce spectacle, est l’une d’entre elles. Ce spectacle sera programmé à Avignon au théâtre du Roi René à 10h.

Esclarmonde, vouée à être mariée à Lothaire, ne peut s’y résoudre. Son affection pour lui ne dépasse pas le cadre d’une amitié profonde. Mais son père, le Seigneur du Domaine des Murmures, y tient fermement. Elle semble résignée à se soumettre quand, dans un éclair de résistance, elle se coupe l’oreille. Ensanglantée, le mariage ne peut se dérouler normalement. Son annulation assure à Esclarmonde un répit salutaire qui lui permet d’envisager une retraite. Cette dernière aura les allures d’une réclusion. Se vouant corps et âme au Christ, elle n’envisage pas d’autre alternative. Sa réclusion se fera au Domaine des Murmures à l’abri du monde dans un silence pieux et voué à l’amour du Christ. Peu avant d’entrer dans ce lieu d’emmurement, elle sera agressée. Le silence et la semi-obscurité lui confèrent une sérénité et une foi inébranlable dans ses principes religieux. Ce lieu austère et spartiate semble jouir d’une lumière bienveillante. Ce silence crée une forme de réunion spirituelle qui dépasse ses murs. Sa notoriété attire les plus croyants qui n’hésitaient pas à vivre non loin de son lieu de réclusion. Une fenestrelle sert d’ouverture sur le monde lui permettant de se connecter au monde. Mais un coup de théâtre viendra frapper Esclarmonde dans sa chair au sein de sa retraite. L’obscurantisme et la foi faisant bon ménage au Moyen-Age, les Parques envisageront de trancher cette destinée dont la pureté auréolait pourtant le Domaine des Murmures. Les superstitions et la peur ayant raison de cette pauvre existence, elle connaitra un destin tragique.

La mise en scène très réussie de William Mesguish nous plonge dans ce XIIe siècle où nous ressentons toutes les aspirations d’Esclarmonde et le monde qui l’entoure.  Aidée en cela par une  scénographie représentative de cette époque et une oeuvre  joliment écrite, William Mesguish a su recréer un univers authentique où la poésie et le mystique communiquent avec le charnel. Saluons la merveilleuse interprétation de Jessica Astier qui fait vivre cette jeune femme, une figure héroïque qui nous rappelle entre autres celle de Jeanne d’Arc. Ce témoignage, d’une lutte contre le diktat paternel, préfigure une remise en question d’une société patriarcale quelques siècles plus tard. A la sortie de ce magnifique spectacle, il nous reste le souvenir d’un destin unique et des chuchotis transportés par le vent affleurant les interstices des murailles du Domaine des Murmures.

Laurent Schteiner