« Échos Ruraux »  le dernier spectacle de la Compagnie des Entichés est issu d’une résidence d’écriture en territoire rural et écrit à quatre mains par Mélanie Charvy et Milie Duyé. Au terme d’une dramaturgie efficace la pièce parvient à mettre en lumière la majorité des problématiques rencontrées dans certaines zones abandonnées depuis longtemps des pouvoirs publics. Servi par une équipe émérite « Échos ruraux » est  une réussite en tous points et à l’occasion de la reprise à Paris de ce spectacle, retour sur nos impressions lors de sa création en Avignon.


Thomas et Karine sont frère et soeur mais ils n’ont vraisemblablement pas grand-chose en commun. Thomas a repris l’exploitation familiale, un petit élevage de bovins dans le village de Vigneux, et a entamé une conversion au bio. Tandis que Karine est partie dès qu’elle a pu vers la capitale faire des études de droit en donnant des nouvelles de manière très épisodique. Le décès du père de famille réunit la fratrie dans le village. Les retrouvailles se font sous tension, les dettes se sont accumulées, des décisions sont à prendre.

La première réussite des Entichés réside dans la densité de son récit. En parallèle de l’histoire familiale les deux autrices parviennent à interpeller le spectateur sur des enjeux beaucoup plus larges, notamment grâce aux scènes jubilatoires des conseils municipaux. La petite histoire croise ainsi subtilement la grande, l’intime et le personnel mettent en lumière le sociétal, le politique, le réel enfin. La forme est tout aussi aboutie que le fond. Le sculptural praticable illustre tous les espaces de l’action avec brio souligné par une très belle création lumière. La scénographie choisie est volontairement abstraite, pas d’accessoires, costumes simples, seule une tenue de travail permet à un moment d’identifier visuellement un facteur de ruralité. Cette décision esthétique est particulièrement judicieuse, elle nous propulse immédiatement dans ce que le spectacle a malheureusement d’universel. Les difficultés rencontrées à Vigneux se retrouvent en effet partout et de plus en plus en France. Une fracture, une séparation de classes, une faille de plus en plus béante qui creuse des inégalités parfois dès la naissance. Écoles publiques qui ferment les unes après les autres, pas ou peu de transports en commun, politique culturelle proche du néant et autant de misère sociale que les petites municipalités n’ont pas les moyens de gérer seuls. De quand date le début de cet abandon ? Combien de temps encore aurons-nous la sensation d’un pays coupé en deux ?
Six acteurs au plateau se partagent les personnages de ce texte percutant. Aurélien Pawloff, dans le rôle de Thomas, trouve ici une partition de choix et s’y jette avec beaucoup d’intensité. Tour à tour bourru ou bouleversant, il sait que le personnage est complexe et son interprétation sur le fil, d’une grande sensibilité, lui confère toute l’épaisseur nécessaire. Son pendant féminin incarné avec brio par Loris Reynaert joue la retenue et révèle lentement ses failles. Les seconds rôles ne déméritent pas, la distribution est d’ailleurs exemplaire, parfaitement équilibrée. Tous dessinent les contours de leurs personnages avec bienveillance, sans caricature ni jugement. Saluons tout de même le travail de Clémentine Lamothe qui, en plus de donner corps à une grand-mère haute en couleurs, nous gratifie d’un concert pour le moins original.
Nous suivons sur nos pages les Entichés depuis longtemps et avions par le passé déjà été séduit par leur engagement, force est de constater qu’ici ils franchissent un cap majeur. « Échos ruraux » est une plongée sans concession dans le milieu rural français, un regard objectif et incisif sur les oubliés  de la République pour un manifeste politique qui interpelle et émeut. Audrey Jean« Échos ruraux » écrit et mis en scène par Mélanie Charvy et Milie Duyé Avec Aurore Bourgois Demachy, Charles Dunnet, Virginie Ruth Joseph, Clémentine Lamothe, Thomas Bouyou, Romain Picquart et Loris Reynaert

Théâtre de l’Étoile du Nord 
Mercredi 28, jeudi 29 et vendredi 30 octobre – 19h
Samedi 31 octobre – 17h
Lundi 2 novembre – 19h
Mardi 3 novembre – 18h30

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