La Compagnie Mare Nostrum nous gratifie les 14 et 15 septembre prochains de sa dernière création sur la scène des Plateaux Sauvages. À l’instar de leur précédent spectacle « Maintenant que nous sommes debout » Vanessa Bettane et Séphora Haymann s’inspirent de leur histoire personnelle pour écrire, et ici précisément de leur maternité respective pour le point de départ de ce nouvel opus bouleversant « Et leurs cerveaux qui dansent ». Toutes deux ont en effet un enfant présentant des spécificités neurologiques, et la pièce retrace le parcours de ces deux femmes face à cette information, du chemin sinueux qui se dessine alors entre diagnostics, rendez-vous médicaux, institutions et gestion quotidienne des particularités des enfants. Un parcours du combattant doublé de la difficulté du chemin intérieur à réaliser, à digérer, à accepter. De ce constat naît une forme plurielle, cathartique et profondément inspirante.
Il y a chez Vanessa Bettane et Séphora Haymann une complémentarité au plateau assez incroyable, une complicité lumineuse qui éclabousse bien au-delà d’un simple duo de comédiennes qui fonctionne. Brillantes, elles signent avec maestria le texte, la mise en scène et l’interprétation de ce nouveau spectacle tout aussi personnel que le précédent. Il s’agit bien ici de leur vie, de leur enfant, de leurs doutes et de leur manière de faire face. Car en effet chacune a une approche spécifique de la différence de son enfant, et les deux comédiennes s’amusent en premier lieu à jouer avec une finesse remarquable de leurs stratégies diamétralement opposées, une sorte de running gag  diablement efficace qui désamorce immédiatement toute velléité de s’apitoyer sur leur sort, elles ne sont pas là pour ça, aucun doute là -dessus. C’est bien au contraire des figures de combattantes, de super héroïnes que les chapitres dessinent au fur et à mesure, des femmes fragiles parfois, déstabilisées certes mais debout.
C’est fou comme un récit profondément intime peut avoir une résonance immense, que l’on soit concerné ou pas par le sujet. Elles partent d’elles bien sûr, elles parlent d’elles, de leurs enfants Alma et Joshua, de leur façon bien à elles de gérer la parentalité avec tout ce que cela comporte de joies, de peines, d’absurdité et de combats à perdre et à gagner. Mais en parlant d’elles, en nous racontant Alma et Joshua, c’est de nous qu’elles parlent, de la norme imposée par la société, de la nécessité permanente de rentrer dans des cases, n’importe quelle case du moment que c’est identifiable au plus grand nombre. Du plus petit, du plus organique, du plus intime, du plus sacré qu’est le lien mystique et unique d’une mère à son enfant Séphora Haymann et Vanessa Bettane en font une réflexion profonde sur le plus grand, le plus universel, le droit fondamental à une identité, le droit de ne pas être normal dans un monde qui ne l’est assurément pas. Qui décide finalement, qui juge de cette normalité, de la catégorisation des caractères, des handicap, des gens ? Avec une intelligence remarquable elles détournent les codes de cette société marquée par le jugement et la hiérarchie en ponctuant le spectacle d’un pastiche de programme TV, concours de meilleure maman de l’année à la sauce télé-réalité. Des séquences féroces et drôles qui dynamitent avec jubilation les pressions subsistant sur la figure maternelle.
« Et leurs cerveaux qui dansent » est une forme relativement courte construite en chapitres, en séquences, à la manière d’une progression appliquée dans un dossier médical nous avançons avec elles vers l’acceptation, vers la sérénité. Il faut dire à quel point la dramaturgie est fine, renforcée par une scénographie visuellement puissante, un univers en noir et blanc évocatrice du zèbre pour la métaphore de l’enfant zèbre, mais aussi pour rappel de la nécessité d’élargir notre palette de couleurs, de sortir d’une vision binaire et étriquée pour inclure la différence quelle qu’elle soit. Le spectacle est dense, superposant toutes ces couches, toutes ses rayures dans un enchaînement proche de la perfection et une traversée riche en émotions. On est tour à tour impressionnés, touchés, amusés, et tristes. Mais plus important sans doute il y a quelque chose de communicatif dans leur travail, une forme un peu abstraite de contagion de l’émotion. On ressort de la salle avec l’impression fugace d’emporter avec nous un petit bout de leur force, un tout petit bout de ce soleil, de cette lumière chaude et douce qui jaillit avec force du rire final des enfants.
Audrey Jean
« Et leurs cerveaux qui dansent »
Texte et mise en scène Vanessa Bettane et Séphora Haymann
Dramaturgie Vanessa Bettane, Séphora Haymann etStéphane Schoukroun
Musique Notoiof et Pregdan Mirier
Création lumière Bruno Brinas
Chorégraphie Marion Lévy
Son et régie générale Cédric Henneré
Régie son Guillaume Caillier
Scénographie et construction Fred Fruchart
Costumes Blanche Cottin
Direction d’actrices Sophie Akrich
Avec Vanessa Bettane et Séphora Haymann
Crédits photos Pauline Le Goff
Les Plateaux Sauvages
5 rue des Plâtrières – 75020 Paris
Tel : 01 83 75 55 70