Théâtre : « Femme non-rééducable » d’après Stéfano Massini aux Déchargeurs
Femme non-rééducable, qui se joue actuellement aux Nouveaux Déchargeurs, d’après Stefano Massini, est un mémorandum théâtral sur la journaliste Anna Politkovskaïa, assassinée en 2006. Cette oeuvre rend hommage à cette figure du journalisme, éprise de liberté, tombée sous les balles du pouvoir poutinien.Â
Journaliste à la Novaïa Gazeta, l’un des derniers organes de presse indépendants, Anna Politkovskaïa couvre en 2000 le conflit entre la Russie et la Tchétchénie. Intervenant sur le terrain, elle mesure la portée démesurée d’une guerre où le seul but de la Russie consiste à laminer un peuple qui entend rester debout et indépendant. Certes l’aspect économique a été le catalyseur pour déclencher cette guerre immonde mettant à nu un peuple, en le martyrisant, en le faisant passer pour terroriste aux yeux du monde. Ses investigations sur le terrain lui font voir toute l’horreur des actions perpétrées par les russes, notamment la notion de quota de tchéchènes à tuer par jour. On les enchaine par trois et on glisse une grenade entre eux. Devant ce déchainement d’enfer, en rendant compte des exactions du Kremlin, elle devient vite une opposante à abattre. La révolte tchétchène lors de la prise d’otages de 912 russes au théâtre de Moscou en 2002 montrera au monde l’étendue du malheur qui frappe la Tchétchénie. Les russes dans l’assaut tueront les preneurs d’otages et 128 spectateurs. Figure de proue de la liberté, Anna Politikovskaïa, rapporte ce qu’elle voit sur le terrain, bien loin de la propagande d’Etat russe. Les menaces se précisent. Elle se sait traquée par le pouvoir. Et le 7 octobre 2006, jour de l’anniversaire de Vladimir, Anna Politkovskaïa tombe sous les balles de ses bourreaux.
Cette pièce subtilement posée explore cette vie héroïque de cette journaliste, figure incontournable du conflit russo-tchétchène. Le pire pour un régime dictatorial est d’affronter la vérité. Et cette vérité là , le Kremlin n’en voulait à aucun prix. Déjà victime d’une tentative d’empoisonnement en 2004, elle se fera exécutée froidement dans sa cage d’escalier deux ans plus tard. Le spectacle nous plonge sans effet mélodramatique dans l’atmosphère de cette époque tout en maintenant une certaine dramaturgie. Roxane Driay endosse magnifiquement le rôle de cette femme en la faisant revivre sous nos yeux. Les passages violents suggérés nous permettent de ressentir un pouvoir de vieux oligarques promptes à défendre leurs intérêts personnels. L’apport de la musique utilisée comme une arme de destruction ou comme un marqueur de cette époque sont autant de clins d’oeil qui enourent cette oeuvre d’un riche écrin. Des « loops » ou boucles sonores sont également utilisés par les 2 comédiens pour recréer l’atmosphère des combats. Les scènes de reportage sont rapportées avec efficacité par la journaliste où elle fait face au dénuement extrême des populations tchétchènes et au cynisme glaçant de jeunes russes totalement à la dérive.
Saluons les performances de ces deux jeunes comédiens de la Compagnie La portée qui ont su nous emmener sur le sillon d’une vérité niée par le pouvoir russe. Pied de nez s’il en est à cette oligarchie russe, le rédacteur en chef de la Novaïa Gazeta Dmitri Mouratov recevra Le prix Nobel de la Paix en 2021 qu’il dédiera aux 6 journalistes assassinés ces dernières années. Depuis cet organe de presse a disparu en Russie. En 2022, Dmitri Mouratov est victime d’une agression dans un train en gare de Moscou : il est aspergé d’un mélange de liquides rouges qui lui brûle les yeux, et menacé.  L’ordre règne en Russie !
Laurent Schteiner
FEMME NON-REEDUCABLE d’après Stefano Massini
traduction Pietro Pizzuti, publié à  l’Arche éditeur
Mise en scène et jeu : Roxane Driay, Jóan Tauveron
- copyright : Sébastien Gomez
Théâtre des Déchargeurs
3 rue des déchargeurs
75001 Paris
Tel : 01 42 36 00 50
www.lesdechargeurs.fr
Dates et horaire :
Du 30 avril au 23 mai 2023, du dimanche au mardi à 19h