Théâtre : « Je vous écris dans le noir » d’après le roman de Jean-Luc Seigle

Le Théâtre de la Reine Blanche nous propose actuellement un seul en scène étonnant, Je vous écris dans le noir d’après le roman de Jean-Luc Seigle. Revenant sur l’affaire Pauline Dubuisson qui avait défrayé la chronique dans les années 50, Gilles Nicolas et Sylvie Van Cleven s’emparent de ce fait divers passionnant afin de mieux comprendre l’engrenage diabolique ayant conduit au meurtre de son amant, Félix Bailly. Cette affaire eut une telle résonnance qu’Henri-Georges Clouzot en fit un film, la Vérité, avec notamment Brigitte Bardot. 

Essaouira, ville d’élection de Pauline Dubuisson au début des années 60, est une cité calme où règne une chaleur toute méditerranéenne. Confortablement installée dans son hamac, Andrée s’étire lascivement et entreprend la narration de sa vie. Vivant heureuse dans ce cocon marocain où elle est médecin, elle envisage l’avenir avec Jean avec qui elle pourrait refaire sa vie. Pour cela, elle lui doit la vérité, à savoir que son vrai prénom est Pauline. Jean constitue une revanche sur une vie cabossée par les événements tragiques qui ont traversé sa vie.

Analysant l’enchainement tragique de la vie de Pauline, Jean-Luc Seigle met en relief les différentes strates de son existence ayant conduit au meurtre de Felice Bailly, son ex petit ami. Née dans le nord de la France en 1927, Pauline assiste pendant l’occupation au trafic que son père entretient avec les nazis. Agée de 15 ans, elle n’aspire qu’à devenir médecin. Grâce aux relations de son père, elle devient l’assistante d’un médecin colonel oeuvrant dans un hôpital. Fasciné par l’homme, elle deviendra sa maitresse. La libération avec son cortèges d’exactions furieuses et revanchardes marquera à jamais la vie de Pauline. Portant cette croix indélébile, elle n’aura de cesse de rebondir, d’être heureuse et ne plus jamais ressentir cette solitude qui l’a toujours accompagnée. Félix constitue sa planche de salut afin d’atteindre la félicité. Mais les stigmates de son passé resurgissent et de ce bonheur tant attendu finit par péricliter. De la beauté surgit le sordide… Ce destin hors-normes marqué sous le sceau de la fatalité est révélateur d’un enchaînement désastreux des circonstances. Sylvie Van Cleven interprète avec éclat cette femme qui croit jusqu’au bout à ses chances de bonheur. Emouvante et sobre à la fois, elle nous assène la face cachée de cette vie où la malchance fut sa compagne de route. Un très joli spectacle toute en finesse !

Laurent Schteiner