Suite de la programmation spéciale vacances du Théâtre de la Ville avec la reprise d’un très beau texte de Fabrice Melquiot « Les séparables » ! Encore programmée ce week-end à l’Espace Cardin cette mise en scène d’Emmanuel Demarcy-Mota est une pure réussite tant sur le fond que sur la forme grâce notamment à une création visuelle impressionnante. Fabrice Melquiot signe ici une de ses envolées poétiques dont il a le secret, une fable délicate parfaitement incarnée à la scène par Céline Carrère et Stéphane Krähenbühl.
Romain et Sabah, une dizaine d’années chacun, s’aperçoivent et se croisent près de leur immeuble, ils sont voisins et vont d’ailleurs à la même école. Chacun a son propre style, son propre univers, à priori rien ne les rapproche, lui s’imagine régulièrement dans sa chambre tel un valeureux cow-boy avec son fidèle destrier, elle se rêve connectée à la nature et aux esprits de la forêt, elle fait partie de la tribu des Sioux et ne sort jamais sans embellir sa chevelure de quelques plumes. Pourtant grâce à une simple assiette de makrouts, de délicieuses pâtisseries orientales cuisinées par la mère de Sabah, ces deux intrépides ne vont plus se quitter, ils vont explorer ensemble les méandres de leurs folles imaginations mais aussi se confronter à la violence du monde qui les entoure.
Après « Alice et autres merveilles » le duo formé par Fabrice Melquiot et Emmanuel Demarcy-Mota se retrouve autour de cette nouvelle création audacieuse. En effet le texte fait avant tout preuve de beaucoup de courage pour aborder des sujets pour le moins complexes, en premier lieu le racisme et la manière dont il est perçu et infusé aux enfants. Fabrice Melquiot y ajoute certes sa poésie mais le texte dans son ensemble est frontal et ne ménage pas son audience. Ici, tel des Romeo et Juliette des temps modernes les deux jeunes protagonistes vivent leur relation amoureuse grandissante en ressentant au quotidien l’influence de leurs parents. Ils emploient parfois alors leurs mots, sans filtres, avec toute la violence que cela peut représenter, ils essaient de se construire en dépit de ces idées envahissantes qui les conditionnent malgré eux jusqu’à peut-être, enfin, s’en affranchir. Il y a beaucoup d’intensité dans le jeu de ces deux acteurs, ils ne prennent pas cette partition à la légère et mettent, même dans les jeux les plus enfantins, le poids nécessaire. Ainsi le crescendo est maîtrisé, l’étau se resserre autour des enfants à mesure que leur relation s’épanouit, l’atmosphère familiale autour d’eux se pourrit. Même s’ils trouvent refuge dans leur imagination foisonnante ces deux-là ne seront pas épargnés par le racisme poisseux, une violence autour d’eux qu’ils ne comprennent pas tout à fait. Il y a toujours chez Melquiot cette langue particulière, à la fois brute et poétique, une langue étrange et envoûtante sublimée ici par les images d’Emmanuel Demarcy-Mota. La création visuelle est à elle seule un vibrant hommage au pouvoir de l’imaginaire, les enfants dans la salle sont d’ailleurs cueillis dès les premières transformations de ce décor mouvant et saisissant. Un bien beau spectacle.
Audrey Jean
« Les séparables » de Fabrice Melquiot
Mise en scène Emmanuel Demarcy-Mota
Avec Céline Carrère et Stéphane Krähenbühl
Création musicale Arman Méliès
Vidéo Mike Guermyet
Scénographie Yves Collet
Théâtre de la Ville
Samedi 3 et dimanche 4 Ã 15H
Espace Pierre Cardin