Plus que quelques jours pour découvrir l’adaptation de la nouvelle de Joseph Conrad « Jeunesse »  par Guillaume Clayssen au Théâtre de l’Échangeur. Un spectacle qui place la narration sous le prisme de la sensation, et qui se caractérise par la rencontre au plateau entre acrobates et comédiens ainsi qu’une scénographie particulièrement intrigante. Une aventure sensorielle et physique audacieuse.
« Jeunesse » est une nouvelle de Conrad retraçant les déboires de Marlow, un jeune aventurier qui embarque à bord de la Judée pour sa première traversée vers l’Orient. Autour, la mer, le vent, le soleil, autant d’éléments déchaînés prêts à dévorer les hommes et leurs ambitions, prêts à aspirer jusqu’à plus soif leurs rêves et leur tourbillonnante jeunesse. La mer, immense et implacable laissera derrière elle des carcasses de bateaux, des débris,et des hommes épuisés, lavés de leur fougue et de leur arrogance.
Le spectacle est hybride, entre performance circassienne, création sonore immersive et l’appropriation réussie de la langue de Conrad avec une narration toute en simplicité. C’est une construction étrange et chancelante à l’image de cette structure en bois évoquant les mâts du bateau sur laquelle les artistes se perchent et se jouent, inconscients, de la gravité. Guillaume Clayssen établit ainsi les limites d’un espace flottant où les sons et l’esthétique placent le corps, la sensation au centre de la perception du récit, cette jeunesse elle s’inscrit dans les corps, dans les muscles, dans les souffles, elle se vit par les pores de la peau et par tous les capteurs intimes qu’elle comporte. Les émotions des personnages sont d’ailleurs régulièrement représentées, suggérées par les chorégraphies des acrobates. Les corps se meuvent avec une agilité déconcertante provoquant des échos, comme des vagues d’énergie contagieuse de cette jeunesse impétueuse. La création sonore est particulièrement efficace pour accompagner cet état second, cette reconstitution envoûtante du voyage tumultueux à bord de la Judée. On sent pourtant la fragilité de l’édifice, c’est délicat comme un rêve d’où l’on pourrait s’extraire à tout moment et l’équilibre tient à peu de choses. La narration aurait d’ailleurs peut-être gagné à être resserrée pour mieux submerger le spectateur, pour qu’il soit entièrement envahi par cette pulsion, cette illusion d’immortalité face au danger de l’aventure. Quoiqu’il en soit on découvre l’écriture de Conrad sous un nouvel angle ici, on s’éloigne de l’abstraction littéraire de la forme romanesque pour entrer dans plus d’animalité, de charnel et en cela cette proposition originale de Guillaume Clayssen est une jolie réussite.
Audrey Jean
« Jeunesse » de Joseph Conrad
Traduction, adaptation et mise en scène Guillaume Clayssen
Avec Johan Caussin, Frédéric Gustaedt, Julien Crépin, Raphaël Milland et Samuel Mazzotti
Théâtre de l’Échangeur  jusqu’au 6 Octobre à  20h30