Théâtre : « La chute » d’après l’oeuvre d’Albert Camus
Le Théâtre de l’Essaïon nous propose actuellement La chute d’Albert Camus. Ce chef d’oeuvre, adapté par Jacques Galaup, nous est proposé dans une dimension intimiste, quasi confidentielle. L’interprétation brillante de Jean-Baptiste Artigas apporte son pesant d’or à cette merveilleuse pièce.
Cette pièce est la pièce de tous les paradoxes où les dissonances se fracassent sur une réalité crue. Dans un cabaret obscur d’Amsterdam, le Mexico-city, Jean-Baptiste Clamence entame avec un voisin un monologue aspirant son interlocuteur dans une prolixité tourbillonnante. Le bouge dans lequel, il prend place chaque soir, réunit toutes sortes de populations hétéroclites (des marins aux mauvais garçons…). Mexico-city, un nom qui sonne faux dans une ville de marins où la bière coule à flot. Jean-Baptiste Clamence a une soif inextinguible de parler. Il parle à l’envi en se confiant à son interlocuteur qui parle peu. La chaleur et la complicité dominant les débats, Clamence se laisse aller jusqu’à parler de sa profession. Avocat de métier, il n’avait qu’une idée en tête : rendre la justice. Cette vocation lui assurait une confiance en lui permettant de pourfendre de sa faconde les mauvais esprits. Ces derniers comptaient dans leur rang, et notamment les juges, ses principaux contradicteurs… Puis un incident va bouleverser sa vie, démolissant sa pyramide de vie. Se promenant un soir près du Pont Neuf, il distingua une femme se penchant sur la Seine. Tournant le dos à cette femme, il poursuivit sa promenade lorsque soudain il entendit le bruit de la chute d’un corps qui tombe à l’eau. Tétanisé et interdit, il ne réussit pas à bouger. Empêtré dans un immobilisme qu’il ne se connaissait pas, il se mortifia de na pas avoir su ou pu réagir. Sa vie en serait transformée à jamais. Abandonnant son métier, il décida de devenir juge pénitent. Là , son équilibre personnel chancela et la balance de la justice s’inversa jusqu’à commettre des méfaits qu’il n’aurait pas pu effectuer auparavant. Son échelle des valeurs s’était modifiée au prix d’une culpabilité qui le rongeait peu à peu, le poussant à une pénitence éternelle. De ce face à face singulier et expiatoire, il ne compte désormais que ses fantômes, ses seuls compagnons de route qui ont pour nom culpabilité ou lâcheté. Cette obséquiosité, qui le caractérisait au début de ce entretien, s’est effritée révélant un homme brisé. Tête à tête ou hallucinations, Albert Camus soigne ses effets en nous plongeant dans le doute, et par un subtil jeu de miroirs, nous renvoie à nous-mêmes. Débarrassés d’une posture complaisante sociétale et célébrant notre authenticité, comment aurions-nous réagi en la circonstance ? Sommes-nous sûrs et certains de nos agissements et de nos comportements ? La complexité de la vie affleure parfois une fragilité intrinsèque qui nous échappe. De cette histoire singulière, Jean-Baptiste Artigas interprète avec brio, cet héros que le destin a choisi de maltraiter. De cette double chute, il en résulte un travail remarquable de lumière, où les repirations musicales de Jean-Baptiste Artigas au piano, apportent un parfum paradoxal où la fumée du Mexico-city se mêle à l’opacité de l’âme humaine.
Laurent Schteiner
« LaChute d’après l’oeuvre d’Albert Camus
mise en scène de Jean-Baptiste Artigas
Avec Jean-Baptiste Artigas
- Adaptation Jacques Galaup
- Collaboration artistique Guillaume Destrem
- Dramaturgie Sophie Nicollas
- Lumières Caroline Calen
- Copyright Philipe Hanula
Théâtre de l’Essaïon
6, rue Pierre-au-lard -75004 Paris
Tel 01 42 78 46 42
www.essaion.com
dimanche 18h, Lundi 19h jusqu’u 6 janvier 2025