Théâtre : « La langue des Cygnes » par la cie Graine de Vie au Théâtre Mouffetard-CNMa

Le théâtre Mouffetard, Centre National de la Marionnette, nous présente actuellement un spectacle magnifique à la lisière de la langue des signes et de la fusion danse-marionnette, La langue des Cygnes. S’appropriant le conte d’Andersen, le vilain petit canard, Laurie Cannac explore l’universalité de ce conte en le projetant dans une contemporanéité poétique et visuelle. Le thème du vilain petit canard, unanimement et intimement ancré dans notre société, nous conduit à un long cheminement vers l’acceptation de nous-mêmes et des autres. 

Ce conte d’Andersen se résume au sort d’un élément d’une communauté rejeté car non conforme à ses standards. Expérimentant la vie, il trouvera la force en lui de résister et prendre en main son destin. Son chemin de vie lui fera faire la rencontre de trois cygnes, Laurie la nomade, Andy l’étranger et Karine sourde. Entre réalité et onirisme, le spectacle enveloppe le spectateur dans un doux rêve poétique. Cette version optimiste et tonique de ce conte déroge au clacissisme observé jusqu’alors. Peu importe la forme que revêt l’autre, l’étranger à la couleur de peau différente, rien ne peut détourner notre petit canard ou ce jeune garçon de l’identité qu’il se façonne. Il se crée à travers une langue, celle d’une danse-signe compréhensible par un public sourd et entendant. L’écriture de ce spectacle se veut avant tout visuel et non pas écrite spécifiquement en langue des signes. De facto, Karine Feuillebois donne corps à sa marionnette en signant également. Andy Scott Ngoua nous propose de jolies chorégraphies traduisant des musiques tantôt africaines, tantôt issues du rap ou du slam ou encore du registre contemporain. La musique est l’oeuvre d’Adri Sergent, en collaboration avec Köba Building. Cet artiste nous distille une musique en « looper » à base de beatbox, de guitare, percussions, voix ou encore tro-khmer qui entretienne la magie spatiale de ce conte revisité sous une forme contemporaine.

Karine Feuillebois et Andy Scott Ngoua nous entrainent avec brio dans une expression artistique où règnent  la confiance en soi et envers l’autre. Laurie Cannac a créé un objet théâtral sublime où l’humanité rencontre la poésie. Ce spectacle contient dans son ADN une assise philosophique s’appliquant à chacun d’entre nous. Cet universalisme constitue un rempart nécessaire à toute forme discriminante de rejet de l’autre.

Laurent Schteiner