Théâtre : « La ménagerie de verre » de Tennessee Williams au Théâtre de l’Odéon

Le théâtre de l’Odéon propose actuellement une reprise de La Ménagerie de verre de Tennessee Williams dans une mise en scène de Ivo Van Hove. Dans cette pièce culte, où l’intime se pare des stigmates du passé, Ivo Van Hove reproduit avec fidélité les fragilités d’une famille à la recherche de rêves et de désirs inassouvis. 

Le huis clos dispose d’une scénographie reproduisant sur les murs de leur maison, les stigmates du passé, à savoir le portrait du père qui a déserté cette famille. S’étalant sur tous les murs, il vit parmi eux tel un fantôme du passé, un trophée qui a disparu. De facto, les Wingfield vivent emmurés dans un passé qui était toute la vie d’Amanda, son épouse. Son mari, parti il y a bien longtemps pour une autre vie, est toujours présent dans sa vie et par ricochet dans celle de Tom et Laura. A l’abri du temps, dans ce home où les cicatrices suppurent toujours, Amanda ressent intimement ce besoin de revanche sur la vie. Sa fille Laura, quelque peu handicapée et introvertie, sera son bras armé. Elle doit lui trouver un galant pour réaliser le rêve qu’elle n’a pu concrétiser. Bipolaire, manipulatrice et femme enfant, Amanda, est un monstre dévorant ses propres enfants. Tom, fuit la maison et n’a de cesse de caresser son rêve de partir enfin de cette maison, de cette famille qui lui pèse. Il ne pourra que reproduire le schéma initial de son père qui avait fui loin d’Amanda. Car Amanda est une femme avec laquelle on ne peut rester. Cependant, son amour fraternel pour Laura l’empêche un temps de s’enfuir. Laura, de son côté, a déserté l’école à cause des moqueries sur son handicap physique. Se consacrant à son tourne-disque et sa ménagerie de verre, elle s’évade en se repliant dans son monde, échappant au joug moral et pesant de sa mère. A la demande d’Amanda, Tom invite Jim afin de trouver un parti pour Laura…

Dans cet univers fragile à l’image de cette ménagerie de verre, il est impossible d’évoluer sans tout perturber ou briser quelque chose. Les cicatrices, les secrets enfouis témoignent de ce malaise qui pèse sur cette famille. Cette histoire, objet de subjectivité constitue un état des lieux réalisé à un instant précis. Les sentiments s’entrelacent, s’interconnectent réalisant des répercussions en chaine à chaque mouvement. La dramaturgie s’annonce progressivement avec subtilité déclenchant une avalanche émotionnelle puissante qui balaye tout sur son passage. Ivo Van Hove, a réalisé une mise en scène précise et aboutie où le spectateur se situe au coeur même du foyer des Wingfield, à l’abri du temps. A l’extérieur et dans une objectivité historique, des nuages sombres s’approchent telle que la montée du fascisme en Allemagne et en Espagne. Dans cet entre-deux, Tennessee Williams fait un parallèle implicite et inconscient avec Tchekhov, sur la fin d’un monde, un thème cher au dramaturge russe. La vie ne sera désormais plus la même !

Saluons la belle performance de Justine Bachelet, brillante, déchirante, fragile et toute en subtilité ainsi que Cyril Gueï, qui est excellent et très juste dans son rôle de galant et ami de Tom. Cette pièce culte, par sa charge émotionnelle, ne se lasse d’être vue et revue.

Laurent Schteiner