Théâtre : « La mouette » d’Anton Tchekhov au Théâtre des Abbesses

Le théâtre des Abbesses propose actuellement la très attendue pièce d’Anton Tchekhov, La Mouette, mise en scène par Brigitte Jacques-Wajeman. Cette pièce au carrefour de l’art et de l’expression douloureuse de l’existence placent le spectateur dans un rôle de voyeur. Brigitte Jaques-Wajeman nous fait entendre toute la poésie de ce texte aux multiples déchirures et renoncements.

Quatre personnages constituent l’écheveau de ce grand classique de Tchekhov : Trigorine, un écrivain à succès vivant avec Irina, une actrice sur le déclin, son fils Treplev, un jeune écrivain amoureux de Nina une jeune actrice en devenir. De cet entrelacs de désirs et de passions inassouvis, Tchekhov prend le spectateur à témoin sur cette incapacité à vivre heureux. Les illusions perdues des uns et des autres dominent ces relations enchevêtrées. Cette impuissance à être heureux est favorisée par l’absence de foi. Cette croyance en soi et en l’autre ne permet pas cet accomplissement. Si la littérature et le théâtre illustrent ce lien qui unit ces êtres en eux, ils constituent la pierre angulaire de leur tragédie personnelle. Treplev amoureux transi de Nina perd son amour qui se tourne résolument vers Trigorine dont l’aura et le charisme la séduisent. Irina voit son amour avec Trigorine s’étioler. Elle accepte tout tant qu’il demeure à ses côtés. De cette nouvelle répartition des cartes du destin, chaque protagoniste perdra ses illusions, de cruelle manière, et surtout par une mésestime patente de soi. A ce titre, la mouette inspirant la pureté des sentiments, fauchée en plein vol, constitue le totem de cette pièce.

Dans cette pièce amère où l’amour et l’art sont les plus loués, le texte empreint de poésie nous transporte vers cette beauté inhérente aux beaux sentiments. Ce texte, joliment interprété par les comédiens, nous rappelle ce monde désenchanté qu’affectionne tout particulièrement Tchekhov. Cependant, une petite réserve est à apporter à cette scène finale magnifique entre Treplev et Nina où davantage de ruptures auraient été les bienvenues. Brigitte Jaques-Wajeman a su s’emparer avec succès de cette oeuvre magnifique en apportant toute la magie de sa poésie.

Laurent Schteiner