Le théâtre de l’Epée de bois nous propose actuellement une fable politique insolite de Juan Mayorga, La paix perpétuelle. Ce huis clos arborant une forme de tragi-comédie, à travers sa philosophie, concède un réalisme singulier et terrifiant à cette allégorie. A travers ce spectacle qui brille par son intelligence, Juan Mayorga définit les limites de la philosophie dans un monde troublé par un « vivre ensemble » désormais obsolète. Quels sont nos outils pour y parvenir ? N’est-il pas trop tard ?

Le traité de philosophie d’Emmanuel Kant, intitulé la paix perpétuelle énonce des principes pour parvenir à une paix entre les nations. Ce faisant, il y développe les concepts de la guerre, de la paix et du droit international. Juan Mayorga aborde ce thème à travers le destin de trois chiens très humains qui ont fait l’objet d’une stricte sélection. A l’issue des dernières épreuves, le vainqueur sera incorporé dans une unité d’élite. Son travail rémunéré consistera à être envoyé au feu.

Dans un espace réduit ces chiens trop humains, Odin, Emmanuel et John-John tournent en rond. Cette attente s’accompagne de questionnements sur leur conditions. L’humour, la réflexion et la violence constituent les ingrédients de ce huis clos étouffant. Les allées et venues des responsables de leur détention génèrent une foule d’interrogations. Ce petit groupe, échantillon sociétal, devient alors le réceptacle de leurs raisonnements et de leurs manipulations susceptibles de garantir leur intégrité physique et morale. Leur présentation personnelle prend racine dans leur environnement familial originel. Seul Emmanuel retient l’attention des recruteurs par sa remise en cause des principes structurant la société. Son doute interpelle et les intéresse grandement. Il rappelle la philosophie de Pascal pour qui la croyance en Dieu était un pari raisonnable. Si son existence était avérée, cela rendrait la situation plus confortable. Ce lien avec le déchainement de la violence terroriste au nom de Dieu est flagrante.

Nos démocraties sont-elles taillées pour supporter le poids d’attaques abjectes de la part de terroristes guidés par une indicible haine ? La loi est-elle suffisante pour lutter contre ce mal qui dévore notre société en nous privant de nos libertés. Cette violence ignominieuse, qui prend tous les visages du mensonge et de la barbarie, est l’expression du fascisme. Afin de préserver nos libertés et nos valeurs, devons-nous et avons-nous le droit d’outrepasser nos lois ? Les événements récents au Moyen-Orient apportent une réponse intrinsèque qui dépasse de loin cette question.

Dans ce huis clos qui transpire la peur, l’incompréhension d’un monde qui devient fou, ces trois personnages, simples rouages d’une société au bord du précipice, tentent de comprendre par le biais de la philosophie l’indicible. Les comédiens, tous excellents, nous délivrent une belle partition par leur interprétation de chiens humains. Cette paix perpétuelle, que tous appellent de leur vÅ“u, est-elle une utopie ? Pour en vérifier la véracité, Il est peut-être temps que les toutous se décident  à mordre férocement.

Laurent Schteiner