En présentant au Théâtre du Soleil La Rue d’Isroël Rabon, Marcel Bozonnet a eu cette idée lumineuse d’ouvrir au plus grand nombre la culture Yiddish avant-gardiste dont le foyer se trouvait dans l’entre-deux guerre à l’est d’une l’Europe en pleine débâcle. En réaction à ces années noires est née une forme d’expressionnisme dont les arts protéiformes allaient être véhiculés dans les milieux yiddishophones de l’époque. S’inspirant de ce rayonnement littéraire, Marcel Bozonnet en collaboration avec Pauline Devinat ont adapté avec brio La Rue dans l’esprit de ce courant avant-gardiste.
Ce rayonnement culturel s’est diffusé d’autant plus largement qu’il n’y avait pas de barrière linguistique. Le vecteur linguistique étant le yiddish. Isroël Rabon s’est inscrit dans cette veine en créant une œuvre atypique où la vie se désincarne et se délite peu à peu.
Un soldat fraîchement démobilisé de ses campagnes prussienne et bolchévique erre dans les rues de Lodz. N’ayant ni famille, ni amis, il déambule dans la rue qui est devenue son ultime refuge. L’identité même de ce soldat nous est inconnue. Mettant ainsi en scène la désespérance humaine, Isroël Rabon nous projette de facto dans un univers nihiliste. Les rencontres de ce soldat sont éphémères et touchantes à la fois. La ville de Lodz représentée par une projection vidéo en négatif des contours d’une ville ouvrière et manufacturière pauvre, triste et sale, nous plonge dans l’atmosphère oppressante de cette époque. Dans un parcours halluciné et erratique, le soldat croise des êtres singuliers qui ne sont que des marionnettes. L’intrusion du fantastique témoigne d’une perte de repères dans cette vie déstructurée. Mais à la façon de cette circassienne (interprétée par Lucie Lastella) qui évolue dans un cirque itinérant, il reprend espoir en la vie. Mais le destin a d’autres projets…
On ne peut être qu’admiratif devant cette mise en scène exigeante et précise de Marcel Bozonnet. Saluons les performances de ces comédiens qui ont magnifié ce spectacle avec talent.
Chant du cygne ou fin d’un monde annoncée, Isroël Rabon nous délivre ce message prémonitoire de la tragédie à venir qui secouera le XXe siècle. Face à l’indicible, quoi de plus naturel que d’invoquer le grotesque pour s’en défendre et résister !
Laurent Schteiner
La Rue d’après le roman d’Isroël Rabon traduit du yiddish par Rachel Ertel
Adaptation Jean-Pierre Jourdain et Marcel Bozonnet
Mise en scène Marcel Bozonnet en collaboration avec Pauline Devinat
Avec Stanislas Roquette (le soldat), Lucie Lastella (Josefa, artiste de cirque), Jean Sclavis (Le vieux marionnettiste juif)
- Dramaturgie Judith Ertel
- Marionnettes Emilie Valantin
- Scénographie Adeline Caron
- Costumes Renato Bianchi
- Lumières Philippe Catalano
- Live électroacoustique Gwennaëlle Roulleau
- Vidéo Quentin Balpe
- crédit photo : Pascal Gély
Théâtre du Soleil
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