Il va sans dire que leur première création « Berliner Mauer : vestiges » avait mis tout le monde d’accord. Le Birgit Ensemble est pourtant une toute jeune compagnie fondée à la sortie du Conservatoire National en 2014 par Jade Herbulot et Julie Bertin,mais le collectif avait placé très haut la barre de l’exigence avec ce premier spectacle particulièrement puissant. Le Théâtre des Quartiers d’Ivry nous propose actuellement deux autres volets de leur fascinante tétralogie « Europe, mon amour », deux spectacles séparés et complémentaires pour une perception globale de l’Europe « Memories of Sarajevo » et « Dans les ruines d’Athènes ». À la lecture de ces deux opus, force est de constater que le Birgit Ensemble transforme doublement l’essai et s’inscrit définitivement comme un collectif absolument incontournable.
Memories of Sarajevo
Avec ce spectacle le Birgit Ensemble confronte deux facettes de l’Europe et surtout deux discours contradictoires. Tandis que les grands dirigeants européens sont tous d’accords pour promouvoir une forme idéaliste et humaniste de l’Union Européenne, tout à côté, dans les Balkans, pays frontaliers de cette union se tient une des plus immondes guerres du siècle précédent. En opposant la montée des nationalismes dans cette région du globe à la gestion pour le moins chaotique de la crise par l’Europe le Birgit ensemble démontre l’hypocrisie du discours politique et met en perspective les divergences entre promesses et actions concrètes.
Impossible de ne pas se projeter dans l’Europe d’aujourd’hui, une Europe post-Brexit, face au drames des migrants, où ça et là le nationalisme et la montée des extrêmes font de nouveau rage. C’est précisément là toute l’intelligence de ce collectif enthousiasmant. En expliquant avec une grande pédagogie les ressorts de conflits passés c’est tout une nouvelle lecture du présent qui s’ouvre à nous. Tout s’avère extrêmement entremêlé, complexe et devient pourtant limpide grâce à leur sens affûté de la dramaturgie. La scénographie oppose ainsi deux niveaux de lecture,d’un côté une vision politique où l’on assiste aux réunions interminables et bavardes des dirigeants déconnectés du réel et englués dans des quêtes de pouvoir absurdes, de l’autre une plongée plus intimiste au coeur de la détresse de la population de Bosnie-Herzégovine. Cette rencontre avec une jeunesse qui aurait pu être la nôtre, une jeunesse qui aspirait à la même Europe que la nôtre est simplement bouleversante. Si la distribution est incontestablement et intégralement éclatante,  l’émotion atteint son paroxysme avec le personnage récurrent interprété par Estelle Meyer. De son phrasé si particulier elle incarne et personnifie Europe, dotée  d’un lyrisme et d’une force saisissante, elle en fait un personnage mystérieux, hypnotisant, déchiré et intense, nous envoûtant longtemps de ses chants d’une beauté sidérante.
Dans les ruines d’Athènes
Suivant une nouvelle fois la même démarche de documentation et de mise en perspective, le Birgit Ensemble fait toutefois ici preuve de plus de cynisme, donnant lieu à un spectacle incisif et grinçant, une création inventive dont la conception est à elle seule remarquable. En effet « Dans les ruines d’Athènes s’avère être interactif et ancré dans son temps, demandant à plusieurs reprises l’intervention du public et obéissant à de nombreux codes contemporains. Il s’agit là en effet de transposer la crise grecque dans un sordide jeu de télé-réalité, une compétition où l’on retrouvera à peine déguisés tous les enjeux et moyens de pression mis en place par l’Union Européenne pour faire plier la Grèce. Simplement génial, ce procédé ramène une fois de plus une situation géo-politique extrêmement complexe à un niveau de compréhension clair, tout en ne nous épargnant pas là encore l’aspect plus concret et réel des nombreuses discussions entre états-majors. Le Birgit ensemble fait preuve d’un humour mordant, d’un sens de l’ironie particulièrement bien dosé et le spectateur se prend très vite au jeu de ce « Parthénon Story » retrouvant les codes cyniques et implacables de notre société déshumanisée. Le collectif parvient cependant à équilibrer l’ensemble retrouvant son personnage lyrique Europe qui contribue par ses interventions à placer le dispositif dans une atmosphère plus lourde, poisseuse par endroits pour finir en une apothéose festive et mélancolique à la fois.
Vous l’aurez compris ce diptyque est passionnant à tous les niveaux. C’est un théâtre intelligent, furieux et utopique, porté par des acteurs époustouflants et un sens aigu du collectif et de l’engagement. Ce sont deux porteuses de projet de talent Jade Herbulot et Julie Bertin, un travail colossal de documentation et de mise en perspective pour une appropriation totale de problématiques sociétales contemporaines. Voilà , le Birgit Ensemble c’est tout ça. Et bien plus encore, mais on ne voudrait surtout pas vous gâcher cette formidable découverte.
Audrey Jean
« Memories of Sarajevo »
Jeudi 16 Ã 19h30, samedi 18 Ã 16h, dimanche 19 Ã 16h
« Dans les ruines d’Athenes »
Mercredi 15, vendredi 17, samedi 18 et dimanche 19 Ã 19h30
Conception et mise en scène : Julie Bertin /Jade Herbulot/ Le Birgit Ensemble
avec Eléonore Arnaud, Antonin Bonnet-Fadinard, Lou Chauvain, Pauline Deshons, Pierre Duprat , Zoé Fauconnet, Anna Fournier, Kevin Garnichat, Elsa Guedj, Timothée Lepeltier, Antoine Louvard, Estelle Meyer, Morgane Nairaud, Loïc Riewer, Marie Sambourg
assistanat à la mise en scène Margaux Eskenazi
scénographie Camille Duchemin
création sonore Lucas Lelièvre
voix off Venia Stamatiadi
costumes Camille Aït-Allouache
musique, arrangements Grégoire Letouvet
paroles Romain Maron
musiciens bande originale Marc-Antoine Perrio (guitares) , Nicolas Charlier (batterie)
Mathias Levy et Stéphanie Moraly (violons) , Caroline Donin (alto) , Patrick Langot (violoncelle)
lumièresGrégoire de Lafond assisté d’Hugo Fleurance
vidéo et multimedia Pierre Nouvel
Théâtre des Quartiers d’Ivry